Alors que notre pays déclarait lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies du 19 mai dernier que la Belgique soutenait « pleinement les déclarations du Secrétaire général et de l’envoyé spécial Pedersen sur la nécessité d’un cessez-le-feu à l’échelle nationale [en Syrie] » 1, la Commission de la Défense nationale de la Chambre des Représentants discutera et votera ces prochains jours (normalement ce jeudi 04 juin 2020, sauf surprise), une proposition2 de résolution visant à réengager 4 avions de chasse F-16 belges dans l’opération « Inherent Resolve » (OIR) en Syrie et en Irak pour une période d’un an pour des missions de reconnaissance ainsi que des opérations d’attaque et de soutien aérien aux troupes au sol.
Une mission illégale, dont la temporalité et les objectifs posent des questions fondamentales, et qui coûterait au contribuable belge un peu plus de 20 millions d’euros (4 avions et 95 militaires au sol). Le mouvement pour la paix appelle instamment les Députés à marquer fermement leur attachement au droit international et au respect des Nations Unies dans leur travail humanitaire et pour la stabilisation et la pacification de la Syrie et de l’Irak.
Un nouveau projet d’intervention militaire contradictoire, dont la légalité et la légitimé font défaut
Par principe, nous nous opposons à la participation à une opération extérieure qui ne soit pas couverte par le droit international, en particulier par une résolution claire du Conseil de sécurité des Nations Unies ou qui serait engagée à la demande du gouvernement concerné. Cette conformité au droit international est également supposée, depuis longtemps, être une condition sine qua non en Belgique, pour l’engagement de son armée à l’extérieur de ses frontières.
Or, l’intervention militaire de la coalition internationale en Syrie est, depuis le départ, contraire aux dispositions de la Charte des Nations Unies. Le projet de résolution de la Chambre ne se réfère d’ailleurs à aucune base légale. Les débats qui ont déjà eu lieu en Commission rappellent souvent la Résolution 2249 (novembre 2015) du Conseil de sécurité de l’ONU. Cette Résolution, qui n’est pas placée sous le Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, ne donne aucunement le droit, à la Belgique et à ses alliés, de se (ré)engager dans la guerre en Syrie. Quand bien même certaines phrases sibyllines de la Résolution pourraient être interprétées – très – largement par notre pays, il convient de rappeler que la situation sur le terrain syrien est totalement différente de celle qui prévalait à la fin de l’année 2015. Le Président Trump n’a-t-il pas annoncé, fin 2019, que le « califat » de l’« Etat islamique » était défait et que les troupes étasuniennes allaient être retirées du territoire ? Désormais, ce qu’il reste des combattants de Daesh se sont invisibilisés et engagés dans une guerre de guerilla pour laquelle le déploiement d’avions de chasse s’avère militairement inefficace voire contre-productif. Les désormais 19 ans d’intervention militaire en Afghanistan le rappelle douloureusement.
Rappelons également que depuis la Résolution 2249 du Conseil de sécurité, la présidence des Etats-Unis est passée dans les mains de Donald Trump qui mène une politique chaotique en Syrie. Il ne suit manifestement aucune ligne politique. Sa stratégie militaire et diplomatique est erratique. Ainsi, par exemple, la lutte contre Daesh sur le terrain est menée par le SDF (Syrian Democratic Front), dont le YPG kurde est le principal protagoniste. C’est à lui que la coalition internationale est censée apporter un soutien aérien. Or, voilà plusieurs mois maintenant que le Président Trump a donné le feu vert à une opération de l’armée turque contre cet allié, qui s’est terminée par l’occupation d’une large bande de terre dans la région frontalière du Nord entre Tel abyad et Ras al Ayn.
S’agissant de l’Irak, soulignons que la situation politique interne doit commander à la plus grande prudence de la part des pays engagés dans la coalition militaire. Ainsi, suite à l’assassinat par l’armée étasunienne du général iranien Soleimani le 5 janvier dernier, le parlement irakien a voté une résolution en faveur du retrait des troupes étasuniennes. Dans quelques jours, l’accord-cadre stratégique de 2008 entre les États-Unis et l’Irak sera entièrement renégocié. Nous n’avons aucune vue sur le contenu futur de ce nouvel accord. La retenue de la Belgique est donc primordiale, si l’objectif de sa participation militaire est bien le soutien au peuple irakien et à la reconstruction du pays. En effet, il faut constater cette opposition large sur le terrain qui s’exprime contre notre présence militaire et celle de nos alliés.
Concernant cette opposition des populations locales, rappelons également qu’à l’instar des précédentes opérations de combat aérien, le risque de pertes civiles d’une nouvelle campagne militaire est élevé. Ainsi, à ce jour, l’intervention militaire de la coalition internationale en Syrie et en Irak est responsable d’au moins 8 250 victimes civiles confirmées, selon l’organisation Airwars. A cet effet, il convient une nouvelle fois de souligner que les précédentes missions belges en Irak et en Syrie souffraient d’un manque total de transparence. Un manque qui rend, évidemment, le contrôle et l’évaluation politiques très difficiles, voire impossibles.
Une intervention militaire en opposition frontale avec le travail des Nations Unies
L’éventualité d’une nouvelle participation de la Belgique à la guerre en Irak et en Syrie se confronte également – et érode – l’appel lancé par le Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres le 23 mars dernier en faveur d’un « cessez-le-feu mondial immédiat » afin de concentrer toute l’attention et tous les moyens vers la lutte contre la pandémie de COVID-19. L’envoyé spécial des Nations Unies pour la Syrie, Geir Pedersen, a également lancé un appel clair en faveur d’un cessez-le-feu « total » et « immédiat » dans toute la Syrie, vu l’urgence humanitaire liée à la crise sanitaire. Un appel auquel, d’ailleurs, la délégation diplomatique belge à l’ONU a apporté publiquement son soutien lors de la dernière réunion du Conseil de sécurité, le 19 mai dernier (voir plus haut). Une crise sanitaire à laquelle, effectivement, la population syrienne est également confrontée, à l’intérieur d’un pays meurtri par près de 10 années de conflits. Nous demandons donc à la Belgique, en tant que membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, de diriger tous ses efforts pour que la population affectée en Syrie ait un accès suffisant à l’aide humanitaire. Dans ce contexte, il est primordial que la résolution 2504 (janvier 2020, à propos de la garantie d’une aide humanitaire « plus efficace et respectueuse des principes établis ») soit renouvelée, afin que le libre accès aux postes frontières et aux zones de conflits reste garanti même après le 10 juillet 2020.
La participation belge à une nouvelle mission de combat en Syrie nous apparaît donc extrêmement problématique et indésirable. Comme l’a également déclaré le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, le 21 février 2020 : « Le message est clair. Il n’y a pas de solution militaire à la crise syrienne. La seule solution possible est une solution politique ». Nous demandons instamment aux parlementaires belges de rejeter ces projets militaires, de ne pas saper la légitimité internationale de la Belgique et de réellement rendre justice aux déclarations des Nations Unies en permettant de concentrer tous les efforts de la Belgique pour le soutien à la population syrienne en grande souffrance et vers une situation pacifiée en Syrie.
Agir pour la paix, CNAPD, CSO, Intal, MCP, Vrede vzw