L’ancien militaire Jair Bolsonaro a été élu président du Brésil ce dimanche 28 octobre. Le politicien d’extrême droite a obtenu 55 % des voix, alors que son opposant de gauche Fernando Haddad, du Parti des travailleurs (PT), a recueilli 45 % du suffrage. Mais qui est Bolsonaro, souvent appelé le « Trump tropical », et quelles idées défend-il ?
Bolsonaro, 63 ans, est un ancien capitaine d’armée, et il veut ramener les militaires au pouvoir. Selon lui, le régime militaire brésilien (1964-1985) a représenté « une période de vingt ans d’ordre et de progrès » – et peu importe si ces militaires ont commis des milliers d’assassinats et d’actes de torture. Il est lui même un ardent défenseur de la pratique de la torture parce que, dit-il, « le but est quand même de les faire parler ». Bolsonaro défend aussi le libre port d’armes. Nombreux de ses supporters l’ont illustré lors du scrutin du premier tour en se rendant avec leur arme au bureau de vote.
Bolsonaro ne fait pas qu’encenser le régime militaire, il base toute sa vision politique sur celui-ci. Il déclare ouvertement qu’une fois élu, le Brésil « correct et vertueux » se lèvera lorsque « tous les citoyens respectables (pourront) s’armer ». Et ce ne sont pas seulement les criminels – Bolsonaro promet d’éradiquer le crime d’une manière radicale – mais aussi les activistes et les minorités que le nouveau président d’extrême droite place dans la catégorie des « individus qui ne méritent pas considérés comme des êtres humains » et qui pourront donc être torturés et exécutés.
Discours de haine contre les minorités
La nuit où Bolsonaro a raté de peu la majorité au premier tour, une première victime est déjà tombée. Un célèbre professeur de capoeira, art martial/danse brésilien, a été tué de douze coups de couteau dans le dos par un partisan de Bolsonaro. La raison : il avait voté pour Haddad, le candidat du parti de gauche PT. La réaction de Bolsonaro : « Celui qui a été poignardé, c’est moi. Qu’est-ce que j’y peux si un type qui porte un T-shirt de ma campagne a exagéré ? »
La liste des déclarations homophobes, sexistes et racistes de Bolsonaro est sans fin. Comparé à lui, Trump est un enfant de chœur. Et les partisans de Bolsonaro mettent allègrement ce discours de haine en pratique. Là où, il y a un mois, un nouveau mouvement de protestation majoritairement composé de femmes descendait en masse dans la rue pour dire #EleNao (Pas lui) contre Bolsonaro, l’atmosphère dans les rues est devenue si agressive ces dernières semaines que les gens ont désormais peur de s’exprimer. Sur les réseaux sociaux, les témoignages d’agressions contre des anti-Bolsonaro et des partisans du PT se sont multipliés de manière alarmante. Une jeune femme noire a été attaqué à cause de son pins #EleNao. « Pute, rentre chez toi faire la vaisselle ! » lui ont crié ses agresseurs en essayant de lui arracher ses vêtements, « bientôt Bolsonaro va vous remettre à votre place, vous les communistes ! » La jeune femme a déclaré dans la presse : « Ce qui se passait dans les bidonvilles se passe désormais aussi dans la classe moyenne. »
Dans les favelas du Brésil, la situation est explosive depuis des années, mais cela a encore empiré ces derniers mois, sous l’actuel président Temer. Fin février, l’État de Rio de Janeiro a été placé sous autorité militaire. Depuis, la violence ne s’est pas calmée mais a au contraire augmenté. Au cours de 372 opérations de l’armée, 370 armes ont été trouvées dans les favelas. Chaque jour, l’armée et la police abattent deux habitants des bidonvilles pour saisir un fusil ou un couteau. Depuis l’intervention militaire, le nombre de victimes civiles a augmenté de 140 %. Bolsonaro a appelé à un « nettoyage » encore plus en profondeur des favelas et a déclaré que tous les policiers qui tuaient quelqu’un au nom de la lutte contre la criminalité « méritaient d’être décorés ». Il y aura une « opération de nettoyage sans précédent dans l’histoire du Brésil », prédit-il.
Chicago boy
On peut affirmer que Bolsonaro est tout à fait déterminé dans ce qu’il dit et qu’il entend bien traduire son discours en actes : lors de réunions secrètes, il a invité huit hauts généraux de l’armée et seulement un civil pour composer son programme de gouvernement. Ce seul civil, c’est Paulo Guedes, un économiste de l’ultra-néolibérale « École de Chicago ». C’est lui qui, sous le régime du dictateur Pinochet, a dessiné la politique néolibérale dure du Chili. « Je ne connais rien à l’économie », a déclaré Bolsonaro. Dans cette matière il suivra l’avis de Paulo Guedes. Bolsonaro a reçu le soutien du puissant secteur de l’agrobusiness, représenté au Parlement par 214 députés sur 513. Au Brésil, ce sont les puissants lobbys du monde des affaires (les « blocos ») qui contrôlent en fait le Parlement. Ce secteur de l’agrobusiness veut une forte politique protectionniste à la Trump pour protéger avant tout les éleveurs de bétail.
Bolsonaro a aussi une vision très tranchée de l’enseignement. Des écoles publiques militaires seront créées partout. Sous la direction d’officiers de l’armée et de policiers militaires, des enfants issus avant tout de « zones dangereuses comme les bidonvilles » seront drillés dans « l’obéissance et la discipline ». Car Bolsonaro défend « l’ordre et la discipline, les valeurs traditionnelles de la famille ». Il affirme ouvertement vouloir faire du Brésil un lieu pour la majorité, où les minorités doivent se taire et se plier à la majorité », par la violence si nécessaire.
Soutien de l’Église évangélique
Comment la moitié des électeurs brésiliens peuvent-ils voter pour un ex-militaire antidémocratique et raciste comme Jair Bolsonaro ? Et cela alors que la population brésilienne est majoritairement composée de pauvres, de Noirs et de femmes ? Cela s’explique par le fait que la société brésilienne a toujours été très polarisée, qu’elle est l’une des plus inégalitaires d’Amérique latine et que la corruption et la violence y sont omniprésentes. Par son approche radicale, Bolsonaro promet de régler ces questions. Via de puissantes chaînes de télévision comme Globo, une campagne a été mise en œuvre pour rendre le PT (le Parti des travailleurs de Haddad et le candidat légitime à la présidence Lula) responsable d’à peu près tout ce qui ne va pas au Brésil. Et les gens ont commencé à le croire. La haine envers le PT et les 20 années qu’il a passées au pouvoir a pris le dessus, y compris chez les pauvres religieux. Bolsonaro se présente comme quelqu’un d’ultraconservateur et de croyant. Il a l’appui de TV Record, la deuxième plus importante chaîne TV du pays, qui est aux mains de la puissante, richissime et ultraconservatrice Église évangélique.
Anticorruption
Il s’est aussi profilé comme le grand candidat anticorruption, ce qui lui vaut une partie significative de ses voix. Il se vend comme le rénovateur qui va faire en sorte que la corruption ne puisse plus empêcher de répondre aux souhaits de la population. L’opération Lava Jata (car wash), une opération « mains propres » dans laquelle le PT a été impliqué, a laissé des traces. Alors que le gouvernement de l’actuel président Temer et le président lui-même ont également été accusés dans des scandales de corruption, c’est quand même le PT qui est devenu pour la plupart des Brésiliens synonyme de corruption. L’immensément populaire Lula, ex-président et candidat légitime pour la présidentielle, pourrait surmonter cela, mais il est actuellement depuis des mois en prison pour corruption sans aucune véritable preuve de sa culpabilité. Le fait que Bolsonaro siège lui-même au Congrès depuis 1991 et qu’il y a passé des alliances avec des groupes dont les dirigeants sont actuellement en prison pour corruption ne semble guère peser dans la balance.
Cela montre la faiblesse des institutions brésiliennes. La justice est vendue et partisane. L’actuel juge suprême brésilien a même récemment pris comme bras droit un militaire issu du club qui rédige le programme de gouvernement de Bolsonaro.
Alliance USA-Brésil
Bolsonaro doit sa popularité à une sorte d’image « le Brésil d’abord ». Le Brésil de la majorité, s’entend. Lorsque la presse nord-américaine a demandé à Bolsonaro comment il s’entendrait avec Trump, son porte-parole a répondu que la politique de Jair Bolsonaro serait avant tout centrée sur la protection des intérêts stratégiques du Brésil et de la population brésilienne au Brésil et à l’étranger, « mais nous pensons néanmoins que les États-Unis sont dans de nombreux aspects un partenaire stratégique naturel – ce qui a disparu ces dix dernières années avec le Parti des travailleurs au pouvoir ». Il a plaidé pour un élargissement du commerce bilatéral, des investissements communs dans la défense er le choix de frontières fortes. « Ensemble, le Brésil et les États-Unis peuvent s’attaquer à certains des problèmes les plus urgents de noter continent, comme le Venezuela. »
Il a aussi évoqué la nécessité de contrecarrer les tentatives de la Chine de mettre un pied économique et militaire sur le sol du continent et de construire conte celle-ci une nouvelle alliance régionale couvrant de nombreux domaines.
Les fils de Trump et de Bolsonaro se sont déjà rencontrés dans une salle de tir, ce qui est peut-être symbolique de la manière dont ils conçoivent l’avenir ensemble. Des rumeurs persistantes affirment aussi que le directeur de campagne de Trump, Steve Bannon, aurait conseillé Bolsonaro sur sa stratégie électorale. Il semble donc que la première puissance économique et militaire et la deuxième puissance économique et militaire du continent américain – si celle-ci est dirigée par Bolsonaro – auront les mêmes ennemis et les mêmes valeurs et s’entendront donc à merveille.
Article de Isabelle Vanbrabant (président de Cubanismo).