Auteur : Ligia Uribe
La Colombie a pour ambition de devenir l’un des premiers producteurs d’huile de palme au monde. La culture commerciale de la palme africaine y a débuté en 1945 avec l’implantation d’une plantation dans une zone bananière de la région de la Magdalena par l’United Fruit Company. Mais ce n’est que depuis quelques années, avec l’alléchant marché international des agro carburants, que la superficie des terres consacrées à la monoculture de la palme africaine s’est agrandie de façon exponentielle au détriment des communautés locales, de l’environnement et de la biodiversité, et au prix d’une forte dégradation des conditions de travail. Ce dernier point est l’objet central de l’article.
La Colombie partage, avec d’autres grands pays cultivateurs de palme, des caractéristiques communes. Une histoire marquée par des gouvernements autoritaires, sinon dictatoriaux, et d’immenses surfaces de terres forestières non protégées appartenant à des communautés indigènes incapables de défendre leurs droits. On peut citer aussi une main-d’œuvre bon marché et des droits du travail inexistants ou bafoués. Ces pays ont subi les politiques d’ajustement structurel imposées par le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale. Parmi les aspects de ces politiques d’ajustement structurel, il y a la mise en place de cultures d’exportation destinées à faire entrer les devises nécessaires au remboursement de la dette.
Le secteur de la production d’huile de palme en Colombie représente aujourd’hui quelque cent mille emplois directs et indirects. Sur ces cent mille travailleurs, seuls 1.778 sont affiliés à l’une des six organisations syndicales existantes. Tous parmi eux sont engagés dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée et travaillent sous le régime d’une convention collective. Un peu plus de 4.500 paysans sont “unis” au secteur via des “alliances de production”. Ils fournissent les moyennes et grandes entreprises en matière première, à savoir les fruits du palmier, de la pulpe desquels on tire l’huile qui est ensuite raffinée.
On estime, par ailleurs, à plus ou moins dix mille le nombre de personnes employées directement par les entreprises pour une durée déterminée. Ces travailleurs ne sont pas syndiqués. Enfin, il y aurait plus de 80.000 personnes engagées sous des régimes de contrat flexible, à travers les coopératives de travail associé et les entreprises prestataires de services.
Les travailleurs des entreprises prestataires de services sont les plus mal lotis. Elles se présentent comme des bourses de l’emploi et proposent de la main-d’œuvre aux grandes plantations. Comme la concurrence fait rage, cela se traduit pas une baisse significative des salaires et des conditions de travail, encore plus marquée que dans le secteur des coopératives. Trait commun avec le secteur de la canne à sucre, on assiste à une segmentation des travailleurs suivant le type de contrat qui les lie aux entreprises. Les 1.778 travailleurs syndiqués, disposant d’un contrat à durée indéterminée, reçoivent un salaire quotidien garanti de 20.000 pesos (sept euros) toute l’année et bénéficient d’autres avantages. Les travailleurs liés aux coopératives sont payés à la pièce : ils reçoivent une “compensation” en fonction du tonnage de fruits récoltés, maximum 600.000 pesos par mois en saison haute. S’ils ne peuvent travailler pour quelque raison que ce soit (maladie, météo défavorable, …), ils ne touchent rien. En basse saison, leur salaire est en chute libre, sans compter l’irrégularité de leurs horaires, dépendant des tâches qui leur sont assignées quotidiennement.
Quant aux 4.500 paysans qui fournissent la matière première, ils courent de nombreux risques. En effet, en leur cédant l’exclusivité des tâches de récolte des fruits, les entreprises se déresponsabilisent et n’assument plus aucun risque lié au climat, aux organismes nuisibles, etc.
Le travail est épuisant, tant dans le secteur de l’huile de palme que dans celui de la canne à sucre. Les récolteurs souffrent souvent de lésions chroniques du dos et sont constamment exposés à des produits agrochimiques susceptibles d’entraîner des maladies respiratoires. Quant aux ouvriers dans les raffineries, ils travaillent dans la chaleur étouffante, le bruit assourdissant et les fumées qui se dégagent lors des opérations de raffinage. Si ces industries respectent généralement les normes légales de santé et de sécurité, seuls les travailleurs bénéficiant d’un contrat direct en jouissent. Les autres travailleurs sont laissés dans l’insécurité totale. Dans les plantations de palme africaine, l’influence des syndicats est quasi imperceptible : nous l’avons vu plus haut, seuls 1,8% des travailleurs sont syndiqués. Le secteur est de fait marqué par une fort taux de sous-traitance, tant de l’emploi que de la matière première, ce qui joue un rôle majeur dans la faible syndicalisation.
De plus, les zones rurales n’offrant que peu d’opportunités d’emplois, les travailleurs, de crainte de perdre leur poste, préfèrent se contenter de leur situation plutôt que d’adresser des revendications à leur employeur. Enfin, de nombreuses plantations sont situées dans des zones de conflit, où des groupes paramilitaires s’arrogent le pouvoir et perçoivent les syndicats comme une menace. Ils essaient donc d’éliminer les représentants syndicaux.
En réalité, il semble que jusqu’à présent tous les accords qui ont été signés à l’issue des mobilisations n’améliorent guère les conditions de travail de façon globale, et n’ouvrent pas la voie à une véritable et pleine reconnaissance des droits des travailleurs. C’est la raison pour laquelle il est urgent de reprendre les discussions afin de créer un cadre par lequel les droits des travailleurs pourraient être protégés intégralement. Il faut pousser tant l’Etat que les chefs d’entreprise à assurer la sécurité des représentants des travailleurs pour qu’ils ne soient plus victimes de représailles et que leurs droits fondamentaux ne soient plus bafoués. Des politiques de responsabilité sociale sont à mettre en avant, responsabilité fondée sur l’octroi de garanties minimales, associées à un dialogue transparent, incluant tous les acteurs du secteur. La société civile a un rôle important à jouer dans ce cadre.
La palme africaine est une des matières premières utilisées pour la production d’agro carburants en Colombie. Dans ce secteur, les conditions de travail des paysans se sont détériorées ces dernières années. Pour rester compétitives sur le marché mondial, les entreprises colombiennes mettent la pression sur les coûts de production. Elles emploient une main-d’œuvre sous payée via des coopératives où les travailleurs sont considérés comme associés et non salariés… et où les syndicats sont honnis.
Qu’est-ce que cela change ? Pour les entreprises, cela revient moins cher. Et cette nouvelle forme de « contrat » a désarticulé les syndicats. Les coopératives, en faisant disparaître le salariat, les ont réduits à leur plus simple expression. La violence a fait le reste. Dans ces régions, beaucoup de dirigeants syndicaux ont été assassinés par les groupes paramilitaires, d’autres ont dû s’exiler. Résultats : plus personne ne défend les ouvriers agricoles, et les patrons imposent leurs conditions. Si les grandes coopératives continuent généralement à respecter certaines obligations comme la sécurité sociale, le salaire minimum ea, les plus petites ne respectent même pas la loi.
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