La Place Lumumba est le résultat de nombreuses luttes contre le néocolonialisme

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Des rues et places reçoivent le nom de Patrice Lumumba en Belgique. C’est une étape dans l’élaboration d’une autre vision de l’histoire coloniale et néocoloniale et une victoire pour ceux qui se battent pour des rapports Nord-Sud justes. Retour sur les événements qui ont conduit à cette victoire. La place Lumumba est le résultat de la lutte menée par tous les progressistes.

« Il n’y aura pas de place Lumumba à Ixelles. Point à la ligne » (1). Tels étaient les propos de Dominique Dufourny, bourgmestre MR de la commune à la fin de l’année passée. Nous sommes à présent à quelques semaines de l’inauguration du square Lumumbaà Bruxelles. Ce qui veut dire que ces propos s’apparentent à une prévision démentie de Madame Soleil. Cette victoire, pour étonnante qu’elle soit, est l’aboutissement d’un combat vieux de près de 15 ans. Que s’est-il donc passé ? Flash-back.

Un combat qui ne date pas d’hier

Le leader congolais et panafricain est assassiné le 17 janvier 1961. Dès cette époque, de nombreuses personnalités à travers le monde dénoncent la responsabilité de la Belgique dans ce crime. En février, de nombreux Egyptiens endommagent l’ambassade belge au Caire et le président Gamal Abdel Nasser refuse de réparer les dégâts (2). Le célèbre guérillero révolutionnaire Ernesto Che Guevara est scandalisé (3). Lumumba devient un symbole et de nombreux bâtiments et endroits portent son nom (notamment en Algérie et en Union soviétique).

En outre, en Belgique, depuis longtemps des intellectuels de la diaspora et des gens de tendance progressiste dénoncent et l’absence de place en l’honneur du leader congolais et la présence de lieux véhiculant une image positive de la colonisation. Dans ce cadre se développent des activités comme des visites anticoloniales et des ouvrages critiques sur cette époque sont publiés (4). La question revient régulièrement sur la table à chaque fois que s’y réinvitent des sujets comme les massacres de l’Etat Indépendant du Congo de Léopold II et la politique de travaux forcés tout au long de l’ère coloniale.
Avec l’anniversaire des 50 ans de l’indépendance du Congo, en 2010, le débat réoccupe l’avant-plan. Ne citons que le fait que bourgmestre Sp.a d’Ostende Jean Vandecasteele propose une rue Lumumba suite à une interpellation. Une initiative abandonnée par la suite (5). Bref, le combat n’arrive pas à sortir du cadre restreint des cercles militants.

En une fois, une grande publicité

Parmi les combats menés, il faut parler de la mobilisation qui depuis une quinzaine d’années a lieu à Matonge. En effet, la population du quartier demande qu’un carrefour récemment rénové et dépourvu de nom soit baptisé « place Lumumba ». L’agitation débute autour de Philip Buyck. En un premier temps, les autorités communales laissent faire. Mais la popularité de l’initiative fait tache d’huile et la pression s’intensifie. Durant la réunion du conseil communal du 24 octobre 2013, au nom du collectif des citoyens du quartier, Gia Abrassart prend la parole et plaide pour la création de cette place. Une motion soutenue par l’opposition CDH et Ecolo.

Le bourgmestre Willy Decourty et sa majorité PS-MR votent contre ce projet. Dans ce cadre, l’argument invoqué est que le leader congolais ne serait pas un personnage consensuel. Ils proposent la mise en place d’une commission communale pour étudier cette création mais cela ne sera plus évoqué ensuite. Ce qui veut dire que cela a juste servi à enterrer le projet.

Cependant, cet échec va avoir une conséquence positive : une immense publicité est donnée au combat pour une place Lumumba. Différents mouvements vont se retrouver et peu à peu s’unifier. Principalement le mouvement intal, l’asbl Change et le Collectif Mémoire Coloniale et Lutte Contre les Discriminations.

Un combat qui s’accélère

La lutte va alors s’accélérer. Elle prend un contenu politique. Il apparaît en effet qu’il ne s’agit pas là d’un simple combat de quartier, ni d’un combat concernant une seule communauté. Il s’agit d’une lutte de tous les progressistes, de tous ceux qui veulent dénoncer le racisme en Belgique (lequel s’exprime notamment par l’existence de nombreuses rues et places glorifiant le colonialisme). Et cela concerne aussi ceux qui contestent les actuels rapports Nord-Sud, encore largement injustes et marqué du sceau du néocolonialisme.

En novembre 2014, la pétition pour une place en l’honneur du leader congolais est lancée par le groupe intal-Congo (6). Elle récolte plus de 1200 signatures.

Le 17 janvier 2015 est lancée au Bozar l’exposition « Congolisation ». Elle ne fait aucune référence à Lumumba. Il faut préciser qu’un des membres du conseil d’administration des Beaux-Arts, un certain Etienne Davignon, n’est pas totalement étranger au renversement et à l’assassinat du dirigeant (7). Cette omerta suscite un tollé dans les milieux progressistes qui organisent une action de protestation : ils se rassemblent dans le Grand Hall du Bozar avec des T-Shirts à l’effigie de Lumumba et la bouche barrée de ruban adhésif. Le combat pour une place en son honneur réoccupe l’avant-plan (8).

Le 30 juin 2015, 300 personnes viennent écouter un sosie de Patrice Lumumba refaire son célèbre discours à 55 ans d’intervalle. Pour les trois associations organisant cette reconstitution,  c’est un succès populaire : plusieurs centaines de personnes qui revendiquent la place Lumumba à Ixelles (9).

Le 8 octobre, le parlement bruxellois francophone organise dans le cadre de ses jeudis de l’hémicycle un colloque autour de la question suivante : quand la Belgique va-t-elle faire face à son passé colonial ? L’initiative est soutenue par Ecolo, le CDH et le PTB. Le groupe intal-Congo y prend la parole et invite les élus à se positionner sur le combat pour une place Lumumba.

Le 17 décembre, à l’occasion du 150ème anniversaire de l’intronisation de Léopold II, la Ville de Bruxelles veut organiser, via l’échevin MR du Patrimoine et de l’Urbanisme, un hommage au monarque. Cet hommage au « roi bâtisseur » implique le passage sous silence de ses crimes au Congo. Cette nième glorification de la colonisation provoque une levée de boucliers dans les milieux progressistes et antiracistes. L’hommage est finalement annulé. Pour la première fois, les défenseurs de l’entreprise coloniale doivent reculer (11).

Durant les deux années qui suivent, les associations ne cessent de commémorer le 17 janvier (date de l’assassinat de Patrice Lumumba) et le 30 juin (date de l’indépendance du Congo) par des actions, des rassemblements, des conférences, des vidéos… Chaque fois, la revendication d’une place Lumumba se fait de plus en plus pressante sur les acteurs politiques. La bourgmestre MR d’Ixelles rappellera son opposition frontale à la place Lumumba avec sa célèbre phrase citée plus haut.

Puis le 12 septembre, la porte est enfoncée.

Le conseiller communal montois Georges-Louis Bouchez (MR) présente une motion en faveur de l’installation d’une plaque en mémoire de Patrice Lumumba et de l’indépendance sous le portail à l’entrée de l’hôtel de ville. Notons qu’il agit dans une logique de provocation et qu’il est membre d’un parti qui s’est toujours farouchement opposé à la reconnaissance de Lumumba. Pourtant ce petit jeu politicien tombe à point nommé.

C’est durant ce conseil communal que la situation a basculé.
Au début de la séance, la majorité PS du bourgmestre Elio Di Rupo souhaite voter contre la proposition du MR pour ne pas lui donner l’avantage (ainsi fonctionne la politique politicienne). Mais la présence d’une centaine de militants anti-impérialistes (d’intal, de l’asbl Change, du Collectif Mémoire Coloniale et Lutte Contre les Discriminations, des étudiants congolais montois et des membres du PTB de Mons) dans la salle du conseil communal, va faire comprendre aux élus PS qu’il n’est pas possible de reporter une nouvelle fois cette demande et aux élus MR qu’ils sont pris à leur propre jeu.
La victoire est acquise : la première reconnaissance officielle de Patrice Lumumba dans l’espace public est obtenue à Mons.

Ensuite, les mobilisations s’enchaînent très vite. La pression des élections se faisant de plus en plus lourde, la Ville de Charleroi vote pour avoir une rue Lumumba. Voulant se profiler, la Ville de Bruxelles propose à certaines associations qui militent sur la place Lumumba l’installation d’une plaque commémorative. Sentant qu’on veut les amadouer, celles-ci font front commun. Après des négociations, la décision est prise par les autorités d’instituer une place sur le territoire de Bruxelles, près de la porte de Namur, à la frontière de la commune d’Ixelles. Une manière de récupérer la lutte d’Ixelles sans contredire la bourgemestre. L’inauguration se déroulera ce 30 juin.

Toutes ces luttes ont montré et montre encore que c’est la pression populaire qui a permis à la place Lumumba de voir le jour. Elle n’est pas un cadeau, elle a été conquise.

Lumumba n’est pas le héros d’une communauté

Dès le début, le combat pour une rue ou une place Lumumba est un combat politique, regroupant des gens d’origines variées : belge, congolaise, africaine, et autre. Et ce indépendamment de cette origine.
Aujourd’hui la lutte continue. Les forces qui défendent le néo-colonialisme ont compris qu’elles ne devaient plus s’opposer frontalement à un hommage à Lumumba. Elles vont alors présenter Lumumba comme un représentant de l’Afrique et/ou de la communauté congolaise en disant en substance que “chaque communauté doit avoir ses représentants dans l’espace public”.

Ce n’est pas le message qui est délivré depuis des années ! La place Lumumba représente un hommage au combat du dirigeant congolais, un combat anti-impérialiste, contre le colonialisme mais aussi le néocolonialisme qui sévit encore actuellement.

Le 30 juin, c’est un Lumumba de lutte que nous fêterons !

Ne l’oublions pas : cette victoire est la nôtre !

(1)    https://www.bruzz.be/fr/samenleving/dufourny-il-ny-aura-pas-de-place-lumumba-point-la-ligne-2017-12-06

(2)    L. DE WITTE, L’ascension de Mobutu. Comment la Belgique et USA ont installé une dictature, p. 170.

(3)    Voir :  https://www.youtube.com/watch?v=-RR7oIc1CB4

(4)    Citons notamment celui de Lucas Catherine. Voir http://www.cadtm.org/Promenade-au-Congo-petit-guide

(5)    Voir : http://www.dewereldmorgen.be/blog/collinsnweke/2015/06/28/eerherstel-voor-lumumba-in-oostende

(6)    Voir : https://www.intal.be/fr/node/12642/results

(7)    L. DE WITTE, L’assassinat de Lumumba, p.59, 69 et 343.

(8)    https://bruxelles-panthere.thefreecat.org/?p=2462

(9)    https://www.intal.be/fr/article/lumumba-presque-en-chair-et-en-os-ixelles

(10)https://www.intal.be/fr/article/intal-invite-les-elus-invites-se-positionner-sur-la-place-lumumba%C2%A0lors-du-colloque-sur-la-me

(11)http://plus.lesoir.be/17784/article/2015-12-15/la-ville-de-bruxelles-annule-une-ceremonie-la-memoire-de-leopold-ii




La Place Lumumba est le résultat de nombreuses luttes contre le néocolonialisme
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