Le Sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Madrid du 28 au 30 juin a une dimension historique. S’il survient à un moment de tensions particulièrement grave avec la guerre en Ukraine, il a aussi été l’occasion d’un renouvellement stratégique important. Le mouvement mondial pour la paix y a opposé un discours alternatif lors du Sommet pour la paix qui précédait celui de l’OTAN, et a démontré sa détermination dans les rues de Madrid lors d’une grande manifestation. Avec Intal, nous voulons revenir ici sur les éléments clefs des orientations que l’OTAN compte emprunter à la suite de ce Sommet.
- Guerre en Ukraine, stratégie occidentale et escalade régionale
La guerre en Ukraine et l’attitude occidentale occupe une part importante de l’actualité depuis plusieurs mois, et a monopolisé l’essentiel de la couverture médiatique du Sommet.
Sans surprise, l’Alliance a réitéré son soutien à l’Ukraine, avec plusieurs nouvelles annonces de la part de pays membres pour des livraisons supplémentaires de matériel militaire etc. C’est également à l’occasion (et en partie en conséquence) de l’invasion russe que l’Alliance a annoncé un renforcement majeur de son dispositif sur lequel nous reviendrons. Il consiste à multiplier les points de présence des forces de l’OTAN, mais aussi augmenter l’Alliance en ressources propres et augmenter le nombre et la taille des bases militaires états-uniennes sur le continent européen.
L’élément pourtant central de la guerre en Ukraine n’a pas été tranché : celui de l’objectif. Les déclarations de dirigeants états-uniens ou ukrainiens laissent sous-entendre une volonté de « victoire » ou « d’affaiblissement de la Russie », alors que certains dirigeants ukrainiens se disaient prêts il y a quelques semaines à des concessions notables. En parallèle, beaucoup de pays européens comme l’Allemagne, la France ou l’Italie semblent appeler à un retour aux négociations le plus rapide possible. Si le soutien politique, financier et militaire au gouvernement de V. Zelenski est bruyamment proclamé, il n’en est rien des objectifs et de la stratégie réelle de l’Alliance : quelle frontière veut-on rétablir ? Aller jusqu’à « récupérer la Crimée » ou le Donbass ? À terme intégrer ou non l’Ukraine dans l’OTAN ? Ou dans l’UE ? Rien n’est défini, et pire encore, aucune discussion publique ne prend place dans le débat démocratique sur ces questions.
- Positionnement vis-à-vis de la Chine et nouveau concept stratégique
Antérieurement à l’invasion russe, la stratégie états-unienne depuis au moins Barack Obama ne laissait aucun doute : mettre la priorité sur la montée en puissance de la Chine, et embarquer l’Europe dans ce combat.
La tentative de J. Biden, bien avant février 2022, d’un « sommet des démocraties » supposé s’opposer à « l’alliance des autocraties » n’a pas rencontré un franc succès, et l’Alliance atlantique ne bénéficiait que de peu de crédits dans les opinions publiques européennes, voire dans les gouvernements.
Par la guerre en Ukraine, les États-Unis ont pu donner un nouveau souffle à l’OTAN, et utiliser la situation comme un prétexte pour mettre en place leur vision du monde
La vision d’une “OTAN globale”, formulée pour la première fois lors du sommet de 2006, est devenue une stratégie par laquelle l’Alliance atlantique, sous le commandement des États-Unis, s’attribue sans cérémonie le rôle de gendarme du monde, en appliquant un schéma aléatoire et provocateur de repolarisation des rangs du monde : d’un côté les bons, ceux qui sont dans l’OTAN et avec l’OTAN, et de l’autre les méchants, ceux qui n’acceptent pas sa suprématie et sont donc désignés comme “ennemis”. En tête, la Russie, définie comme une “menace immédiate”, suivie de la Chine, définie comme une “menace à long terme” parce qu’elle représenterait un “défi pour les valeurs et les intérêts de l’Occident”.
Des déclarations d’une dangerosité et d’une gravité sans précédent, notamment parce que cette OTAN reconfigurée se prépare à pérenniser son rôle par un réarmement effréné, de l’Atlantique au Pacifique.
L’invitation du Japon, de l’Australie, de la Corée du Sud et de la Nouvelle-Zélande au sommet de Madrid témoigne de l’importance de la zone indopacifique.
Cette vision en blocs prêts à s’affronter ne correspond pourtant pas à la volonté de l’écrasante majorité des pays du monde et en particulier dans le Sud, soucieux de préserver leur souveraineté et refusant l’idée d’un monde unipolaire ou celle de devoir « choisir un camp ».
Cette stratégie vis-à-vis de la Chine et d’identifier l’OTAN au « bras armé des démocraties » rentre toutefois en contradiction avec le projet officiellement proclamé d’une alliance défensive de l’Europe. Lors du Sommet de Madrid, les pays membres ont adopté un nouveau « Concept stratégique », c’est-à-dire réellement une nouvelle doctrine stratégique et idéologique (la dernière datant du Sommet de Lisbonne en 2010).
- Otan 360° et le projet néocolonial
L’OTAN met en avant une alliance « à 360° » et parle de « Global NATO ». Derrière ce vocabulaire, un double objectif : un élargissement géographique, mais aussi qualitatif de l’Alliance. Premièrement, outre la volonté de recruter de nouveaux membres, il y a aussi celle d’augmenter le nombre de « partenariats » (c’est-à-dire un statut intermédiaire qu’occupe actuellement des pays comme la Colombie ou Israël). Deuxièmement, il y a le développement d’une stratégie d’approfondissement de l’OTAN qui dépasse le cadre de la stricte défense militaire territoriale, mais devient une défense contre toutes les menaces et tous les problèmes. Ainsi, les « menaces sur les institutions », la guerre contre les fake news, la cybersécurité, le changement climatique, la lutte contre les pandémies ou les catastrophes naturelles… tout cela se retrouve inclus dans les objectifs de l’OTAN. Elle ne défend plus un territoire, mais des « valeurs », et ne constitue plus une alliance militaire, mais un organe de coopération dans tous les domaines.
Pour cela, l’OTAN est prêt à intervenir en dehors des mandats impératifs de la Charte des Nations unies. Ce changement d’orientation vers le sud entraînera une expansion des capacités des bases militaires US déployées dans le monde.
L’OTAN va également ouvrir un « centre d’excellence sur la sécurité et le changement climatique » à Montréal alors même que la seule armée états-unienne émet autant de gaz à effet de serre qu’un pays comme la Suède ou le Portugal. Il est également d’un cynisme crasse lorsque l’on voit les crimes de guerre qu’ont commis plusieurs de ses membres, ou l’attitude autoritaire et liberticide que déploient certains des gouvernements parties prenantes au Sommet.
Cette transformation revête un contenu dangereux, car il tend à marginaliser les organismes de coopération multilatérale qui existent déjà, à les désinvestir au profit de lieux où l’hégémonie occidentale de manière générale (et états-unienne en particulier) est totale.
- L’élargissement à la Suède et à la Finlande
Mettant fin à plusieurs décennies (voire deux siècles dans le cas suédois) de neutralité, la Suède et la Finlande vont rejoindre l’OTAN. Tout pays dans le cadre géographique de l’OTAN peut bien sûr demander à rejoindre l’Alliance, et les opinions publiques de ces deux pays, bien que non consultées à cette occasion, semblent avoir vécu un tournant depuis les derniers mois. Les deux armées de ces pays, développées et équipées, collaboraient en réalité déjà depuis longtemps avec l’OTAN.
Le motif de l’invasion russe, et de la protection que fournirait l’OTAN ne tient cependant pas compte de la réalité. Tout d’abord, ces pays sont tous les deux, en tant que membres de l’Union européenne, couverts par les Traités européens qui assurent une défense commune (sur le même mécanisme que l’OTAN d’un soutien de tous les États membres en cas de l’attaque d’un d’eux). Sans même que l’on souligne à quel point une invasion de la Scandinavie ne correspond à aucun plan ni à aucun intérêt russe, il est en réalité déjà rendu impossible par les mécanismes européens de défense mutuelle.
Notons que la réaction du gouvernement russe sur ce sujet, qui mériterait un article à lui seul, s’est pour l’instant limitée à évoquer le danger d’installations de bases ou de missiles dans les pays scandinaves, plutôt que l’appartenance à l’Alliance en tant que telle. Cette « limite » (le déploiement, sous drapeau de l’OTAN, de soldats et de missiles) ne semble pas évoquée pour l’instant dans aucun des deux pays.
La grande majorité des gouvernements européens avaient soutenu cela, sans que dans aucun pays le débat démocratique ne prenne place. La seule opposition temporairement tenace est venue de R. Erdogan, le président turc, qui en a profité pour négocier une série de contreparties pour son gouvernement. Ainsi, Finlande et Suède ont accepté non seulement de lever l’embargo sur les armes mis en place contre la Turquie depuis les incursions illégales et brutales de l’armée turque en Syrie, mais également de collaborer au niveau des services de renseignement sur la lutte contre des organisations kurdes d’opposition dont certaines sont qualifiées de terroriste par la Turquie (PKK, YPG…). C’est dans ce cadre, avec un cynisme à toute épreuve, que la Finlande et la Suède ont accepté d’extrader plusieurs dizaines d’opposants turcs afin de… rejoindre « l’alliance des démocraties ».
- Budget et présence militaire
Dans le cadre de son nouveau concept stratégique, l’OTAN veut tout d’abord augmenter ses ressources propres : plus de fonctionnaires, plus de financement, plus de pouvoir pour le secrétariat général. Ensuite, le déploiement militaire de l’OTAN va également s’amplifier. La force de réaction rapide (supposée être capable d’être déployée entre 2 et 50 jours) de l’Alliance va passer de 40 000 à 300 000 militaires sur le sol européen. Les États-Unis ont annoncé augmenter leur présence de 20 000 soldats (avec déjà 100 000 présents), le renforcement de plusieurs bases préexistantes (comme en Espagne, au Royaume-Uni ou en Roumanie) ou la création de nouvelles bases plus à l’Est (base militaire et poste de commandement en Pologne).
Pour répondre à ces objectifs, le financement des budgets militaires va être augmenté dans tous les États membres. L’objectif de « 2% du PIB », martelé depuis B. Obama par les États-Unis à tous les Européens se voit non seulement atteint, mais dépassé. Le secrétaire général de l’OTAN, J. Stoltenberg a déclaré à ce titre que « ces 2% sont de plus en plus vus comme une étape, pas comme un plafond ». On voit bien que ce chiffre ne revêtait aucune justification concrète, mais uniquement une étape « acceptable » pour toujours servir le même but d’augmentation des dépenses militaires. Depuis 2014, le Canada et l’Europe ont dépensé 350 milliards de dollars supplémentaires (donc en plus de ce qui aurait été dépensé sans les augmentations décidées) pour l’armée et l’armement.
Dans le document final du sommet de Madrid, l’Otan s’engage à « fournir toute la gamme des forces » nécessaires «pour des combats de haute intensité et multi-domaines contre des concurrents dotés de l’arme nucléaire». En d’autres termes, l’Otan continue à améliorer sa capacité nucléaire.
- Rebâtir le mouvement pour la paix
S’opposer à la guerre n’est pas qu’un objectif moral. Outre bien sûr les dégâts en vies et en biens qu’engendrent les guerres, elles divisent les peuples, détournent des vrais problèmes, et empêchent l’humanité d’affronter les vrais défis qui sont devant elle.
L’OTAN tente à l’heure actuelle de se redonner une identité et une mission, mettant ainsi gravement en péril le fonctionnement international, le droit international, et les organisations multilatérales de coopération. L’attitude illégale et agressive de la Russie ne doivent pas nous entrainer dans une confrontation de blocs, qui sous couvert de « bien contre le mal » nous amène uniquement à la montée des tensions et à la guerre.
Les ressources colossales investies dans la guerre et l’armement doivent l’être dans ce qui constitue la plus élémentaire sécurité : la lutte contre la pauvreté, l’accès aux soins de santé ou à l’éducation, et la lutte contre le changement climatique.
Intal veut participer à ce vaste mouvement qui doit rassembler les mouvements pacifistes, mais aussi écologistes, féministes, décoloniaux et, bien sûr, le mouvement des travailleurs et les syndicats.
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Pour aller plus loin, retrouvez Intal lors de ces évènements:
- Retrouvez la Déclaration Finale du Sommet pour la Paix 2022 de Madrid ici.
- Nicolas Pierre, médecin de Médecine pour le Peuple et militant actif pour la paix avec INTAL donnera la formation suivante à l’Université Marxiste 2022 : ” L’OTAN est-elle garante de la paix mondiale ? ” – plus d’information ici et inscriptions ici.
- Le 17 et 18 septembre 2022 à Manifiesta, la programmation Intal comptera de nombreux panels autour de ce thème :
– “Les faiseurs de guerre contre les bâtisseurs de paix” avec Johan Depoortere (ancien journaliste de la VRT) s’entretiendra avec Anna Kolotova (Ukraine), Jörg Kronauer (journaliste, Allemagne), Christophe Wasinski (Prof. ULB), Chen Weihua (journaliste, China Daily) et Isabelle Vanbrabant (Intal).
– “Pas de justice climatique sans paix : rencontre avec Mitzi Tan et Jasper Thys.”
– “Construire un mouvement pour la paix en Europe : échange avec les compagnons de lutte du International’s People’s Assembly.”Retrouvez le programme complet ici.
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