Lumumba : le symbole de la lutte pour l’indépendance du Congo

Lumumba : le symbole de la lutte pour l’indépendance du Congo

 61 ans après sa mort

Une source d’inspiration dans la lutte pour la décolonisation, contre le racisme et pour le respect de la souveraineté des pays du Sud

61 ans après sa mort, nous voulons revenir sur les idées et le combat de Patrice Lumumba qui sont une grande source d’inspiration aujourd’hui dans la lutte pour la décolonisation, le racisme et le respect de la souveraineté des pays du Sud. Parler du leader de l’indépendance du Congo, ce n’est pas seulement parler de sa personne, c’est parler du combat de tout un peuple pour son indépendance face à l’État colonial belge, à « un capitalisme dégradant et honteux » comme le disait Lumumba dans sa dernière lettre à sa femme. Aujourd’hui, en tant que militant.e décolonial.e, militant.e anti-raciste, militant.e pour le respect de la souveraineté des pays du sud ou ayant la volonté de le devenir, s’inspirer du combat et des idées de Lumumba est une énorme richesse, un héritage qui nous a été laissé pour décrocher des victoires décoloniales conséquentes.

Dans ce dossier, nous parlerons de Lumumba dans sa lutte pour la véritable indépendance du Congo face à l’Etat colonial belge et aux États-Unis qui ont mis en place une série de stratégies pour empêcher cette indépendance authentique et mettre en place un gouvernement congolais qui poursuivrait la domination, le contrôle de l’Occident sur le Congo. Ensuite, nous aborderons la solidarité des pays du Sud (appelé tiers-monde à l’époque) à travers les conférences de Bandung et de la Tricontinentale. La lutte de Lumumba s’inscrivait dans une lutte des pays du Sud (Afrique, Asie et Amérique Latine) contre le colonialisme, au cours de laquelle ses conférences ont vu le jour. Nous parlerons aussi des manifestations de soutien à Lumumba après son assassinat. Enfin, nous terminons pas ce que nous voulons aujourd’hui, avec Intal Congo : rétablir la justice dans ce meurtre dont la Belgique refuse encore de reconnaitre sa responsabilité.

Lumumba et sa lutte pour l’indépendance du Congo

La colonisation, une économie criminelle basée sur la violence et un discours civilisateur fondée sur une vision raciste

Léopold II, roi des Belges et roi de l’Etat indépendant du Congo, écrit le 3 juin 1906: « Le Congo a été et n’a pu être qu’une oeuvre personnelle. Or, il n’est pas de droit plus légitime que le droit de l’auteur sur sa propre oeuvre, fruit de son labeur. Mes droits sur le Congo sont sans partage, ils sont le produit de mes peines et de mes dépenses. Le mode d’exercice de la puissance publique au Congo ne peut relever que de l’auteur de l’Etat. » C’est dans cet esprit de soumission totale aux autorités coloniaux que le peuple congolaise sera obligé de vivre jusqu’à l’indépendance. Et, une fois Lumumba assassiné, Mobutu n’a fait qu’imiter la dictature personnelle de Léopold II, roi des Belges.

L’État indépendant du Congo (nom du pays quand Léopold II en était propriétaire) a installé une économie criminelle basée sur la violence et le Congo belge n’a pas fait beaucoup mieux : usurpation de terres, travail forcé, limitation des droits et libertés en matière de travail, mise sur le marché de matières premières et culture d’exportation au profit des grandes entreprises et pression permanente sur la population en application du principe que la colonie devait s’autofinancer.

La force de travail des congolais a été mise à la disposition des grandes sociétés par la violence et la contrainte exercées par l’Etat colonial. La Compagnie du Katanga (entreprise) a reçu la pleine propriété d’un territoire d’une superficie six fois supérieure à celle de la Belgique. Le roi Léopold II et une poignée de grands capitalistes fondent en 1900 le Comité Spécial du Katanga (CSK) qui obtient le droit d’administrer la plus grande partie de la province du Katanga (à l’est du Congo, riche en matières premières), d’y percevoir l’impôt et d’y organiser un corps de police.

Le Comité Spécial du Katanga devient le principal actionnaire en 1906 de l’Union Minière, devenue une des plus importantes sociétés capitalistes de Belgique. Elle s’appelle aujourd’hui UMICORE. En 1924, le vice-gouverneur de la province de l’Equateur, Georges Moulaert, évalue le coût annuel d’un travailleur de l’Union Minière entre 8.000 et 9.000 francs, alors qu’il en rapporte 50.000. Quand le capitaliste paie un franc à l’ouvrier congolais qui est durement exploité, le capitaliste empoche 6 francs sans rien faire.

Elikia M’Bokolo, historien et expert de la commission sur le passé colonial belge, explique que ce système colonial s’est imposée par la guerre : « Ce fut donc par la force brute des armes, à leurs (sous-entendu les autorités coloniales) yeux légitimes, mais illégitimes aux yeux des peuples du bassin du Congo que l’État, et à sa suite, les grands groupes financiers s’octroyèrent la propriété exclusive de gigantesques parties du sol et du sous-sol du Congo, appauvrissant du même coup durablement les habitants et les souverains légitimes de ces régions »[1].

Le discours civilisateur dissimulait à peine une vision du monde structurellement et foncièrement raciste. Les motifs racistes […] ont joué un rôle central dans la légitimation du projet colonial. Au Congo belge, cela a conduit à une forme de gouvernance raciale – à une forme d’apartheid – dans laquelle les Noirs – la population congolaise – n’avaient aucun droit de décision et se voyaient systématiquement accorder moins de droits, étaient opprimés et étaient exploités. Par exemple, des législations différentes s’appliquaient ainsi aux indigènes (noirs) et aux non-indigènes (blancs) – et c’était vrai tant pour le Congo que pour le Ruanda-Urundi. Par exemple : les châtiments corporels, la déportation (enfermement dans des camps, pour les déplacements il fallait un passeport ou un contrat de travail valide, l’interdiction de se rendre dans des quartiers européens sans autorisation spécial…[2]

Lumumba, la voix des opprimés du colonialisme

Patrice Lumumba, premier Premier ministre du Congo nouvellement indépendant, est le leader de l’indépendance du Congo. Né le 2 juillet 1925, durant la colonisation du Congo par l’État belge (appelé le Congo belge), assassiné le 17 janvier 1961, a seulement 35 ans, il avait pris des décisions et réalisé des choix qui reposaient intégralement sur les aspirations du peuple, sa loyauté envers la population était inébranlable. Lumumba a représenté le peuple qui avait subi l’occupation et l’oppression.

Le 28 décembre 1958, Lumumba a organisé avec son parti le MNC (mouvement national congolais) un grand meeting à Kinshasa, à la place de la Victoire, dans la capitale congolaise, rassemblant 10 000 personnes, c’est un succès énorme, l’énergie est là, les manifestants exigent l’indépendance. Il déclara devant la foule « l’indépendance, loin d’être un cadeau, était un droit fondamental, naturel et sacré et qu’il fallait rejeter l’autonomie-cadeau que prépare lui et lui promeut le gouvernement ». Le 4 janvier 1959, une autre manifestation rassemble des milliers de personnes, les autorités coloniales massacrèrent 250 à 500 manifestants[3], appelés les martyrs du 4 janvier. Après ces événements, les dirigeants belges craignent « une guerre d’Algérie », peu de temps après, le 13 janvier 1959, le Roi Baudouin parle de « conduire, sans atermoiements funestes mais sans précipitation inconsidérée, les populations congolaises à l’indépendance »[4].

En portant la voix du peuple, avec ses compagnons de lutte, Lumumba a arraché l’indépendance du Congo. La majorité des politiciens congolais appelés « évolués » ont adopté une attitude prudente et attentiste. Lumumba en était parfaitement conscient, lorsqu’il déclara en Belgique le 22 avril 1959: « La masse est beaucoup plus révolutionnaire que nous. Quand nous sommes avec la masse, c’est la masse même qui nous pousse, elle voudrait aller beaucoup plus rapidement que nous. » »

L’histoire nous montre clairement que Lumumba ne cherchait pas son intérêt personnel, c’était un homme loyal qui a refusé de se laisser corrompre. En 1960, il déclarait : « Le gouvernement belge veut se retirer de la scène politique congolaise mais entend remettre la gestion du Congo dans les mains des leaders ayant toutes ses sympathies. … Je suis considéré comme un homme dangereux parce que je refuse de me laisser corrompre . Je peux vous dire que si j’avais accepté de jouer le jeux, comme l’ont fait, certains leaders congolais opportunistes, je serais aujourd’hui soutenu par la Belgique et considéré comme son plus grand ami. » (P. Lumumba, Pourquoi Pas, juin 1960 p.228)

La Conférence panafricaine d’Accra, le début de l’internationalisation de la lutte  d’indépendance du Congo

 Du 5 décembre au 13 décembre 1958, une conférence panafricaine historique s’est déroulée à Accra, la capitale du Ghana. La conférence était sous la direction de Kwame Nkrumah, le président du Ghana, le premier pays d’Afrique subsaharienne à briser les chaînes du colonialisme, le 6 mars 1957, soit quelques mois à peine avant la conférence panafricaine. Les débats portaient sur l’analyse des obstacles à l’émancipation et à l’unification de l’Afrique. Lors de cette conférence, c’est alors le début de l’internationalisation de la lutte pour l’indépendance du Congo. Lumumba exprima durant la conférence sa conviction anti-impérialiste, c’est à dire, contre le maintien de la mainmise des puissances coloniales sur le Congo et et l’Afrique.

« Cette conférence historique…nous révèle une chose : malgré les frontières qui nous séparent, nous avons la même conscience, les mêmes soucis de faire de ce continent africain un continent libre, heureux, dégagé, dégagé de toute domination, colonialiste. Nous sommes heureux de constater que cet conférence s’est fixé comme objectif : la lutte contre tous les facteurs internes et externes […], parmi ces facteurs, on trouve le colonialisme, l’impérialisme, le tribalisme et le séparatisme religieux […].[5] »

« L’Afrique est irrésistiblement engagée, pour sa libération, dans une lutte sans merci contre le colonialisme et l’impérialisme. Le Congo ne peut être considéré comme une colonie d’exploitation ni de peuplement et son accession à l’indépendance est la condition  de la paix. L’objectif du Mouvement National Congolais est d’unir et d’organiser les masses congolaises dans la lutte pour l’amélioration de leur sort, la liquidation du régime colonialiste et de l’exploitation de l’homme par l’homme ».

La table ronde politique de 1960, précipiter les événements pour « une indépendance fictive et nominale »

 Du 20 janvier au 20 février 1960 s’est tenu à Bruxelles la Table ronde politique belgo-congolaise au cours de laquelle la délégation congolaise formait un Front commun. C’est lors de cette table ronde que la date de l’indépendance du Congo est fixée au 30 juin 1960, soit quelques mois après cette première table ronde. Lumumba, arrivé en retard en raison de sa détention par les autorités coloniales, a été libéré sous la pression de la délégation congolaise et lorsqu’il arrive à Bruxelles, la date de l’indépendance a déjà fixée. Les leaders congolais et la population exigeaient l’indépendance, néanmoins, laissé si peu de temps était bien un calcul machiavélique imaginé précédemment par une partie du personnel politique belge et par des représentants des milieux d’affaires belges. Un haut fonctionnaire de la colonie, dont l’anonymat a été conservé, écrivait après l’indépendance, les intentions de ceux qui ont voulus l’indépendance brusquée : « En fait notre politique répondait à la fois, à un fond de lâcheté, l’obsession de la guerre d’Algérie, et à un calcul assez machiavélique. M. De Schrijver [ministre du Congo belge et du Ruanda-Urundi] a octroyé l’indépendance tout de suite mais il n’a opéré aucune des réformes préconisées par M. Van Bilsen [auteur du « plan de 30 ans pour l’émancipation de l’Afrique belge »]. La raison en est qu’il n’a jamais entendu accorder aux Congolais qu’une indépendance purement fictive et nominale. [6]»

La table ronde économique de 1960, la mis en place de la spoliation du Congo[7]

Du 26 avril au 16 mai, la Table ronde économique, financière et sociale se déroule à Bruxelles en présence des milieux financiers (la Fédération des Associations des colons, la Fédération des entreprises congolaises…). Lumumba et ses partisans étaient en pleine campagne électorale et n’ont pas pu y assister. Les résolutions prises lors de cette table ronde répondaient aux intérêts du gouvernement et des milieux d’affaires belges :  l’affirmation du libéralisme économique, des garanties contre les nationalisations des sociétés, la liberté des transferts financiers soit la mise en place de la fuite des capitaux qui paralysera le nouvel État. A la suite des décisions de cette table ronde, l’historien Isidore Ndaywel écrit « le Congo a été spolié de ses importantes participations dans des sociétés, […] par une loi qui offrit aux sociétés commerciales belges de droit colonial d’opter pour le droit belge ou le droit congolais. Aussi, l’ensemble du portefeuille de la colonie, évalué à 35 ou 37 milliards de francs) fut considéré comme un patrimoine commun à gérer ensemble au bénéfice des deux parties.

Les élections du 22 mai 1960, la victoire de Lumumba

 Le 22 mai 1960 se déroulèrent les élections provinciales et nationales, à la surprise du gouvernement belge, c’est la tendance nationaliste (ceux défendant une indépendance totale, à l’opposé des partis dit « tribalistes » partisans de laisser le pouvoir à l’ancienne colonie) qui remportait la victoire. Le parti MNC (mouvement national congolais) de Lumumba est sorti grand vainqueur et représenté dans toutes les provinces du pays. Le peuple congolais, qui ne voulait plus d’ingérence étrangère, a choisi ceux qui répondaient à leurs aspirations. Après ces élections, le gouvernement belge tente de mettre en place une alliance anti-lumumbiste mais doit laisser la place au grand vainqueur des élections, Lumumba, pour former le nouveau gouvernement. Les alliés du MNC de Lumumba était le PSA, le parti solidaire africain, de Pierre Mulele qui poursuivra la lutte de Lumumba après sa mort. Néanmoins, pour  former son gouvernement, Lumumba a du accepter des partis qui avaient tournés le dos à lutte anti-colonialiste tel l’ABAKO (Alliance des BaKongo), parti tribaliste et séparatiste de Joseph Kasavubu qui avait déclaré, le 13 janvier 1959, alors que la population était en pleine révolte pour l’indépendance : « nous demandons au peuple congolais de rester calme, d’oublier le passé et de préparer l’avenir dans l’esprit de la nouvelle politique qui conduit le Congo à l’indépendance ». En guise de compromis, Lumumba a du accepter que Joseph Kasavubu soit président.

Que voulaient Lumumba, les nationaliste congolais ? « l’indépendance politique étant conquise, nous voulons maintenant l’indépendance économique. La patrimoine national nous appartient. […]. Nous-mêmes, les ministres, nous allons nous rendre dans les milieux ruraux, nous allons labourer la terre pour montrer au pays comment nous devons faire nos coopératives […]. Nous ne voudrons jamais tromper le peuple et le peuple sait très bien que, depuis que nous sommes au pouvoir, aucun ministre n’est payé. Ce n’est pas en mendiant des capitaux que nous allons développer le pays mais en travaillant nous-mêmes, par nos propres mains, par nos efforts. […][8].

Le 30 juin 1960 : les discours du roi Baudouin, de Lumumba, Premier ministre et de Kasavubu, Président

 Le 30 juin 1960 est un moment historique non seulement pour l’histoire du Congo mais pour l’Afrique tout entière. Jamais l’affrontement entre l’oppresseur et l’opprimé n’a été exprimé avec une telle force. Après le discours du Roi Baudouin, qui dressa un tableau idyllique de la colonisation, Lumumba y répondit en faisant le procès des 80 années de la colonisation.

Le Roi Baudouin : « […] L’indépendance du Congo constitue l’aboutissement de l’œuvre conçue par le génie du roi Léopold II. Lorsque Léopold II a entrepris la grande œuvre qui trouve aujourd’hui son couronnement, il ne s’est pas présenté à vous en conquérant mais en civilisateur […] ».

Lumumba : « […] Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres. Nous avons qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les blancs et des paillotes croulantes pour les Noirs. Qui oubliera les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’injustice, d’oppression et d’exploitation. […]»

Le président Joseph Kasavubu du parti de l’ABAKO, l’allié des autorités belges, tient un discours qui démontre très bien son allégeance aux colonisateurs.

« […] Nous saurons dans tout le pays développé l’assimilation de ce que quatre-vingts ans de contact avec l’Occident nous a apporté de bien : la langue, la législation, et enfin surtout le culture. […] Sire la présence de votre Auguste Majesté constitue un éclatant et nouveau témoignage de votre sollicitude pour toutes ces populations que vous avez aimées et protégées. […]»

Le chef de la Sûreté coloniale, le colonel Frédéric Vandewallle, présent lors du discours de Lumumba dira au sujet du discours de Lumumba : « Cette manifestation de défoulement incongrue et offensante pour les Belges, était vengeresse pour beaucoup de Congolais. Elle connut un franc succès parmi ceux qui assistaient à la cérémonie sans y avoir été invités. Leurs applaudissement éveillèrent des échos dans la foule dehors »[9].

Après l’indépendance, l’agression belge et étasuniennes

 Le 5 juillet 1960, soit 5 jours après l’indépendance, la Belgique provoque des troubles au sein de la Force publique (l’armée coloniale) avec le général belge Janssens qui la commande, celui s’adresse aux congolais qui la compose et déclare « Avant l’indépendance = après l’indépendance ». En agissant de cette manière, le général a délibérément provoqué les soldats congolais qui ne voulaient plus être soumis aux autorités belges. Le 9 juillet 1960, le gouvernement belge intervient avec des troupes militaires dans la province du Katanga (située à l’est du Congo où se trouvent principalement les matières premières), des soldats congolais se sont soulevés contre les officiers qui veulent arrêter l’africanisation de l’armée, les militaires belges les désarmement. La Belgique va soutenir la sécession du Katanga avec Moise Tshombé, l’homme des belges, à sa tête. S’en suit le 11 juillet, une attaque belge dans le ville de Matadi (à environ 250km de de Kinshasa, la capitale), de nombreuses villes seront occupées militairement par les soldats belges. L’intervention vise à arrêter l’africanisation de l’armée décidée par le gouvernement Lumumba, qui avait aussi augmenté les salaires de militaires congolais de 30%. Lumumba avait aussi invité les fonctionnaires et le ouvriers des mines et des usines a revendiqué des mesures sociales, une grève éclata dans Kinshasa.

Le 11 juillet, le gouverneur de la province du Katanga, Moise Tshombé, allié des autorités belges, proclame l’indépendance de la province (soit fait sécession) et fait appel aux troupes belges. Le ministre belge de la Défense déclare devant le parlement que l’armée est intervenue dans 23 villes du Congo. Au total, l’ensemble des forces armées belges présentent au Congo s’élève à 10 000 hommes. Le 17 juillet, Lumumba s’adresse au représentant du secrétaire général de l’ONU : « Mettez dehors les troupes d’agression belges, sinon je serai obligé de faire appel à l’URSS pour mettre fin à l’agression. » La résolution du Conseil de sécurité de l’ONU du 14 juillet décide d’une aide militaire au gouvernement congolais mais l’intervention belge n’est pas condamnée. Derrière l’ONU, ce sont les États-Unis et le 12 juillet, le secrétaire général, Hammarskjold, ira négocier avec Tshombé, le sécessionniste du Katanga. Tant l’ONU que la Belgique ont utilisé la sécession du Katanga pour saper le gouvernement central de Lumumba. Le commandant des troupes de l’ONU, Von Horn écrira dans ses mémoires :  « Il n’était pas à dissimuler que nous tous, à commencer par Dag Hammarskjold, nous nourrissions une profonde méfiance et de l’aversion pour Lumumba[10] ».

Le coup d’Etat de Mobutu et l’assassinat de Lumumba

Le 5 septembre 1960, avec l’instance de ses conseillers occidentaux, le Président du Congo Joseph Kasavubu destitue son Premier ministre, Lumumba. Il l’accuse d’avoir usée de violence dans l’affaire de la sécession katangaise. A son tour Lumumba destitue le Président Kasavubu. Le 14 septembre, le général Mobutu qui deviendra le président du Congo pendant plus de 30 ans, et mettra en place un régime dictatorial, s’empare du pouvoir. Le 10 octobre, le général Mobutu remplace le gouvernement de Lumumba par un collège de commissaires et Étienne Tshisékédi (le père de l’actuel président du Congo) est nommé commissaire à la justice. Lumumba est assigné à résidence par le collège. Sa maison est surveillée par des casques bleus de l’ONU et des soldats du général Mobutu montent la garde. Finalement, après une tentative de fuite, Lumumba est emprisonné et envoyé dans la province du Katanga. Le 17 décembre 1960, en même temps que ses partisans Maurice Mpolo et Joseph Okito, il est torturé et assassiné. L’ensemble de cet épisode est raconté dans le livre de Ludo De Witte, l’assassinat de Lumumba, où l’auteur démontre la responsabilité directe du gouvernement belge dans ce meurtre[11].

En 2001 et 2002, une commission d’enquête parlementaire belge s’est penchée sur le meurtre de Lumumba. L’année précédente était paru le livre de Ludo De Witte et le magasine Humo avait publié des révélations choquantes. Une réaction officielle de la Belgique ne pouvait plus se faire attendre. Dans le rapport des experts, on retrouve notamment un document – un telex du ministre belge des Affaires africaines (Harold d’Aspremont Lynden) – qui demande « l’élimination définitive » de Lumumba. Des déclarations comme celle du colonel belge Vandewalle prouve que ce telex donnait l’ordre de l’élimination physique de Lumumba. A l’issue de la commission, le gouvernement belge a reconnu une responsabilité morale dans le meurtre de Lumumba qui n’est donc pas une reconnaissance claire de son rôle dans l’assassinat du Premier ministre congolais.

Hommage et soutien mondial à Lumumba

Lors de son discours au siège des Nations Unies à New York en 1964,  Che Guevara, le leader de la révolution cubaine, déclara :

« La bestialité de l’impérialisme ? C’est une bestialité qui ne connaît pas de limites, qui n’a pas de frontières nationales. Telle fut la bestialité des armées Hitlériennes … semblable à la bestialité des États-Unis, comme celle des parachutistes belges. Et celle de l’impérialisme français en Algérie. Car, l’essence même de l’impérialisme, c’est transformer les hommes en sauvages, des animaux assoiffés de sangs, déterminés à abattre, de tuer, assassiner et détruire le dernier vestige de l’image du révolutionnaire ou le partisan de tout régime qu’ils écrasent sous leurs bottes parce qu’il se bat pour la liberté. La statue de Lumumba détruite aujourd’hui, mais elle sera demain reconstruite, nous rappelle l’histoire tragique de ce martyr de la révolution mondiale et nous assure qu’on ne peut jamais faire confiance à l’impérialisme. En aucune façon. Pas un iota! »[12]

Après l’assassinat de Lumumba, de nombreuses manifestations  contre la Belgique, les USA et l’ONU ont eu lieu dans de nombreux pays à travers les différents continents : en Égypte, en Indonésie, au Danemark, en Afrique du Sud, en Iran, en Grèce, au Canada, à Cuba, au Pérou, au Venezuela, aux États-Unis, aux Royaume-Uni, à Paris…..et en Belgique.[13]

Les luttes d’indépendance des pays du Sud

Le combat et la pensée de Lumumba s’inscrit dans une tendance historique de combats contre le colonialisme et l’impérialisme. En 1927 s’est organisé à Bruxelles la première conférence mondiale contre l’impérialisme et l’oppression coloniale. Après la deuxième guerre mondiale ce courant deviendra un mouvement puissant qui va ébranler l’univers colonial au niveau mondial. En 1949, la Chine a mis fin à la domination occidentale ; en 1952, en Égypte, Nasser a renversé la monarchie égyptienne et veut en finir avec l’occupation du Royaume-Uni ; en 1953, l’armée coloniale française a subi une défaite décisive au Vietnam ; en 1954, en Algérie, c’est le début du soulèvement des nationaliste algériens contre l’occupation coloniale française.

Bandung en 1955, la première conférence Asie-Afrique

 Le 18 avril 1955 s’ouvrait la conférence de Bandung, en Indonésie, la première conférence Asie-Afrique, où des représentants de 29 nations y étaient présents tels que Kwame Nkrumah du Ghana (appelé Gold Coast à l’époque), Gamal Abdel Nasser de l’Egypte.

La conférence de Bandung a été un événement capital dans la prise de conscience des peuples d’Afrique et d’Asie de la nécessité de s’organiser, de faire entendre leurs voix sur la scène internationale, et de soutenir leurs luttes d’indépendance nationale. L’apport principal de la Conférence de Bandung a été d’affirmer le droit des peuples à la libération de la domination coloniale et au développement

«  Nous sommes face à un enjeu crucial, la survie même de l’humanité… Nous avons subi l’influence étrangère, il n’est pas surprenant que nous nous sentions si proches » (Abdel Nasser, leader de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, déclaration à la conférence de Bandung).

 La Tricontinentale en 1966, la conférence de solidarité avec les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine

Le 13 janvier 1966 s’est déroulé à la Havane, la capitale cubaine, la Conférence de solidarité avec les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, appelée « Tricontinentale ». Durant cette conférence, des représentants de tous les mouvements de libération et de toutes les organisations luttant contre le colonialisme et le néocolonialisme et l’impérialisme seront présents. On y retrouve le président Chilien Salvador Allende, le Guinéen Amilcar Cabral. Le débat a porté sur la solidarité avec le peuple vietnamien et les autres luttes de libération nationale. L’ambition était de coordonner les luttes des trois continents, la conférence créa une organisation tricontinentale pour la mettre en oeuvre.

Alors que la Tricontinentale est condamnée comme « un complot communiste » par les États-Unis, elle est bien le résultat de convergences objectives de luttes multiples (luttes pour l’indépendance, luttes contre le néocolonialisme, luttes contre les ingérences étrangères, luttes pour l’égalité aux États-Unis, etc.).

Selon Saïd Bouamama, sociologue, auteur et militant antiraciste, explique sur la Tricontinentale :

« Contrairement à ce qu’affirment de nombreux commentateurs aujourd’hui, le pari fut largement gagné (sous-entendu avec la Tricontinentale). Ceux qui se contentent de « prédire le passé » parlent volontiers d’« échec », en occultant la réaction virulente et brutale des puissances impérialistes dans les années qui suivent la conférence des trois continents. De nombreux acteurs importants de la Tricontinentale vont être assassinés : Ben Barka avant même la conférence en 1965, Che Guevara en 1967, Amilcar Cabral en 1973, Salvador Allende la même année…Les meurtres vont viser un grand nombre de leaders jugés dangereux : Osende Ofana en 1966, Martin Luther King en 1968, Naïm Khader en 1981, Thomas Sankara en 1987… La contre-offensive se traduit également par la multiplication des coups d’État contre tous les gouvernements refusant de se soumettre.

Je pense au contraire que la mondialisation capitaliste dans sa forme actuelle, ultralibérale et guerrière, pose à nouveau pour les « damnés de la terre » la question de l’internationalisme. Je considère que c’est cet internationalisme qui cherche encore sa forme d’organisation adaptée au 21e siècle, qui est en travail dans les forums sociaux mondiaux et dans la tentative d’alternative en construction comme le représente l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA) sur le continent américain. »

Que voulons-nous avec Intal Congo ?

 En 2001, la Commission parlementaire sur l’assassinat de Lumumba reconnaissait d’une façon ambiguë la responsabilité de l’Etat belge dans cet assassinat en parlant d’une « responsabilité morale ». Aujourd’hui, les comptes rendus des auditions de cette commission sont encore garder secrets, empêchant de dévoiler publiquement et clairement les responsabilités précises des agents de l’Etat belge et les responsables politiques au plus haut niveau dans cet assassinat.

En 2011, la famille Lumumba avait commencé son combat en introduisant une plainte en Belgique contre 12 personnes faisant partie de l’administration belge à l’époque. La durée la procédure judiciaire, plus de 10 ans, est complètement déraisonnable, et montre que l’État belge fait tout pour empêcher ce procès. La plainte se base sur les éléments de la commission Lumumba qui avait des pouvoirs d’un juge d’instruction, mais qui n’a pas poursuivi malgré les constats quant à la responsabilité de la Belgique. Parmi les personnes visées et encore vivante, on y retrouve Étienne Davignon, attaché au cabinet des affaires étrangères de l’époque. Aujourd’hui, E. Davignon est un riche homme d’affaire, membre de conseils administration de grandes sociétés qui défend ouvertement la colonisation.

Avec Intal Congo, en 2021, nous avons lancé Decolonize Bozar, une campagne de décolonisation des arts et de la culture visant à faire tomber Étienne Davignon de son poste de président du Conseil d’administration des BOZAR.  A la suite de notre campagne et des demandes des travailleurs de Bozar, Étienne Davignon ne s’est pas représenté pour un autre mandat au CA, alors qu’il occupait le poste depuis plus de 20 ans. C’est une grande victoire !

Le 30 juin 2020, Juliana Lumumba a adressé au nom de la famille Lumumba une lettre au Roi Philippe demandant la restitution des reliques de son père. Dans la lettre, on peut lire :

« Si Patrice Emery Lumumba a été déclaré mort dans notre pays, au Katanga, sa dépouille est en morceaux éparses on ne sait où… Hormis, hélas, les abjectes déclarations, faites en Belgique, de détention de quelques-uns de ses restes comme trophées. Nous, les enfants Lumumba, nous, la famille Lumumba, nous demandons le juste retour des reliques de Patrice Emery Lumumba sur la terre de ses ancêtres, afin que nous payions notre tribut de deuil filial. »

Plus de 60 ans après sa mort, sans cette demande de la famille Lumumba, la Belgique conservait dans le silence, la dépouille de Lumumba, comme un vulgaire objet, une dent qui a été brandie comme un trophée de chasse par un commissaire belge qui a participé à la découpe et la dissolution du corps dans de l’acide. Cette lettre a poussé l’État belge à sortir de son mutisme et à dévoiler au grand public la présence de le dent de Lumumba en Belgique.

Avec Intal Congo, le 21 juin 2021, date à laquelle, la restitution de la dépouille de Lumumba était prévue, nous avons lancé avec d’autres organisations, une pétition réclamant de donner à cette évènement  la dimension publique, médiatique, et historique qui sied à ce héros mondial.

Alors qu’un certain nombre de questions se posent. A nos yeux, la plus importante d’entre elles est liée au travail mémoriel et  dé colonial en Belgique. En effet, via les conclusions de la commission d’enquête en 2001, les autorités belges n’ont reconnu qu’une « responsabilité morale » dans l’assassinat du leader congolais et panafricain. Pourtant, bien des éléments appuient la thèse de ce rôle et de l’implication active de militaires, diplomates et policiers belges, agissant avec le feu vert de Bruxelles.

Lumumba n’est pas un personnage controversé comme l’a déclaré Alexander De Croo, premier ministre, encore en 2021. Lumumba n’est pas seulement un héros congolais, Patrice Lumumba est un martyr de la révolution du monde, comme disait le Commandant Che Guevara.

Nous demandons :

  •  que l’Etat belge reconnaisse enfin la responsabilité du gouvernement belge de l’époque dans      l’assassinat de Lumumba ;
  • de mettre à la disposition de la justice les compte-rendu d’auditions de la commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat de LUMUMBA et de ses compagnons.

Source:

[1]    Rapport des experts de la commission sur le passé colonial belge, octobre 2022, p.55 ;

[2]    Rapport des experts de la commission sur le passé colonial belge, octobre 2022, p.236 ;

[3]    Histoire générale du Congo, de l’héritage ancien à la République démocratique, Isidore Ndaywel è Nziem, p.537 ;

[4]    https://www.levif.be/actualite/magazine/cinq-discours-qui-ont-marque/article-normal-908679.html?cookie_check=1642189900

[5]    Op cit, Isidore Ndaywel è Nziem, p. 535 ;

[6]    L’ascension de Mobutu, Jules Chomé, 1974, p.24 ;

[7]    Op cit, Isidore Ndaywel è Nziem , p.551 ;

[8]    La pensée politique de Lumumba, p. 298 ;

[9]    L’assassinat de Lumumba, Ludo De Witte, p. 35 ;

[10]  Soldat de la Paix, Von Horn, 1966, p.194 et 228 ;

[11]  Une histoire populaire du Congo, Tony Busselen, p. 90 ;

[12]  https://www.cubanismo.be/fr/articles/hommage-l-gendaire-patrice-lumumba-par-deux-ic-nes-malcom-x-et-che-guevara

[13]  Histoire générale du Congo, De l’héritage ancien à la République Démocrtique, Isidore Ndaywel è Nziem, p. 589.

Lumumba : le symbole de la lutte pour l’indépendance du Congo
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