La rupture de la coalition FCC-Cach par le président F. Tshisekedi avec l’ancien président Joseph Kabila a réjoui sans conteste le gouvernement américain ainsi que la France et la Belgique. L’allégeance du président congolais aux Occidentaux ne fait plus aucun doute. L’avenir appelle donc à une vigilance accrue sur les réformes qui seront initiées par l’actuel président congolais.
Mais que s’est-il passé ces derniers jours ? Le 6 décembre, le président congolais Félix Tshisekedi annonçait la fin de la coalition qu’il formait avec son prédécesseur, l’ancien président Joseph Kabila. La rupture de cette alliance, le président congolais l’avait déjà brandie par le passé tout en calmant le jeu par la suite [1]. On pouvait donc s’attendre à ce qu’il le fasse à nouveau, d’autant que les élections de 2023 se rapprochent. Une coalition qui était sans nul doute fragile au regard des divergences entre les deux hommes, du contexte dans lequel cette alliance s’est formée et des pressions exercées par les pays occidentaux pour y mettre fin. Pour rappel, à la suite des élections présidentielles et législatives congolaises de décembre 2018, F. Tshisekedi est devenu président du Congo et la plateforme politique soutenant J. Kabila, le FCC (Front commun pour le Congo) a remporté la majorité des sièges à l’Assemblée nationale, au Sénat et dans 24 sur 26 assemblées provinciales, tout cela au terme de résultats contestés.
Affrontement au Congo et enjeux mondiaux
Tshisekedi a donc voulu acquérir une majorité qu’il n’avait pas à l’Assemblée nationale et qui l’empêchait, comme il l’a déclaré, « de mener sa politique de réformes ». Des pétitions par les partisans du président (équivalent à une motion de méfiance) ont été lancées contre le bureau de l’Assemblée nationale, entraînant la chute du bureau en question, avec 281 voix pour et 200 pour son maintien. Résultat : les députés de l’Assemblée nationale (la majorité) seraient désormais en faveur du Président actuel. Néanmoins, le Sénat congolais (membres élus indirectement) et deux tiers des postes ministériels ainsi que le poste de Premier ministre sont encore occupés par des partisans du FCC, la plateforme dont Joseph Kabila est « l’autorité morale ». Le changement voulu par le président Félix Tshisekedi n’est donc pas encore complet. Conclure à une mainmise totale a l’heure actuelle de F. Tshisekedi sur les institutions serait donc une erreur, ou à tout le moins une analyse précipitée de la situation.
Mais l’enjeu est bien au-delà de ces deux hommes : Washington, dans sa guerre commerciale contre la Chine, tient à contrôler la RDC, qui possède de 50 à 60% des réserves mondiales de cobalt alors que la production des voitures électriques nécessitant ce minerai est appelée à exploser davantage pendant les prochaines années. Afin de pouvoir tirer profit pour le pays de l’exploitation des matières premières, l’ancien président J. Kabila a fait réviser et promulguer, en 2018, le Code minier. Ce dernier augmente les taxes que l’Etat congolais prélève sur les exportations, notamment du cobalt. Cette révision du Code minier a suscité les foudres des sociétés minières occidentales qui courtisaient dès le début de son mandat, le nouveau président en vue de sa révision[2]. Or, une révision du Code minier nécessite la majorité à l’Assemblée nationale…
Derrière J. Kabila et F. Tshisekedi, on retrouve donc les grandes puissances mondiales, la Chine et les Etats-Unis. L’ancien président J. Kabila s’était tourné durant sa présidence vers la Chine. Cela avait suscité le mécontentement des Etats-Unis et des pays européens. S’adressant au président Joseph Kabila, on se souvient des propos tenus en 2008 par Karel De Gucht, le Ministre des Affaires étrangères belge de l’époque : « Je vous le dis, les accords avec la Chine ne passeront pas le cap de l’Assemblée nationale. […] Vous devez remanier votre gouvernement et m’en tenir informé et surtout les 200 millions de dollars que nous vous donnons au titre de l’aide nous donnent un droit de regard moral sur votre politique [3]».
Tshisekedi dans le giron occidental
Quant à F. Tshisekedi, dès le début de son mandat, il s’est montré clairement comme l’allié des Occidentaux. Lors de son premier discours du 13 décembre 2019 sur l’état de la Nation[4] (allocution annuelle présentant sa politique générale), il a déclaré sans détour son allégeance à l’Occident : « Les défis auxquels la RDC fait face ont toujours bénéficié de l’appui de la communauté internationale, notamment les Nations Unies, l’Union africaine, l’Union européenne, les Etats-Unis et la Grande Bretagne désormais engagés dans les efforts de la reconstruction de notre pays. C’est ici le lieu de leur rendre hommage ».
Le ton était donné : remerciement et hommage aux Occidentaux ! Pourtant, on sait que la raison principale de l’état actuel du Congo réside dans les années d’exploitation à outrance du pays durant la colonisation ainsi que l’instabilité et les pillages dont les Etats-Unis et les institutions internationales (le Fonds monétaire international et la Banque mondiale) sont les principaux concepteurs-acteurs.
Quelques mois avant la rupture de la coalition, Félix Tshisekedi ouvrait la porte à l’ingérence économique et militaire étatsunienne : la reprise avec l’AGOA et la coopération militaire entre la RDC et les Etats-Unis[5].
L’AGOA (African Growth and Opportunity Act, en français, Loi sur la croissance et les opportunités en Afrique) est l’outil de l’impérialisme américain pour bénéficier des produits africains à faible coût. Et F. Tshisekedi déroule le tapis rouge pour sa relance… Dès lors, il n’y a rien d’étonnant à l’annonce de la rupture de son alliance avec l’ancien président J. Kabila que les alliés occidentaux de Tshisekedi, appelaient de leurs vœux et qu’ils soutiennent.
« Le changement, c’est Tshisekedi. Notre stratégie consiste à supporter une nouvelle vision qui promeut la lutte contre l’impunité, contre la corruption et valorise la démocratie et les droits de l’homme [6]», déclarait, très enthousiaste, Mike Hammer, l’ambassadeur américain et « quasi-conseiller » de Félix Tshisekedi. « On sait que c’est difficile mais, avec Tshisekedi, il y a une opportunité unique d’obtenir des avancées pour la RDC et pour les intérêts américains », s’est-il réjoui. Quant au ministère belge des Affaires étrangères, le 9 décembre, il ne cachait pas non plus sa satisfaction de voir la RDC « s’ouvrir » une nouvelle fois aux intérêts des Occidentaux : « La Belgique est prête à contribuer à la mise en œuvre des importantes réformes présentées suite aux consultations menées par le Président Tshisekedi.[7]» La nouvelle configuration politique en RDC appelle donc à surveiller de près les réformes néolibérales que voudra mettre en œuvre F. Tshisekedi. Le nouveau Code minier en est un des enjeux principaux.
[1] https://www.lalibre.be/international/afrique/tshisekedi-menace-de-dissoudre-l-assemblee-nationale-tensions-a-tous-les-etages-dans-la-coalition-au-pouvoir-5e332cfaf20d5a6521f94fc0
[2]https://www.politico.cd/la-rdc-a-la-une/2019/02/06/des-miniers-ont-entame-de-discussions-avec-le-nouveau-regime-autour-du-code-minier.html/34728/
[3]http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/2008/05/25/cest-le-gouvernement-congolais-qui-replique-a-la-belgiques/
[4] https://www.youtube.com/watch?v=4KbOclXmMqc
[5]https://twitter.com/USEmbKinshasa/status/1290598562552840193?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1290598562552840193%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.dw.com%2Ffr%2Fles-usa-reprennent-la-coopC3A9ration-militaire-avec-la-rdc%2Fa-54508960
[6] https://twitter.com/usembkinshasa/status/1323368739975303168
[7] https://mobile.twitter.com/belgiummfa/status/1336712572142227456