Auteurs : Pierre Nicolas, Emiel Winnelinckx
Plus de deux mois après l’invasion, les images et récits venant d’Ukraine rappellent à la conscience des Européens la dureté de la guerre. L’invasion illégale et brutale de l’Ukraine est le deuxième conflit armé à prendre place sur le continent depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, il ne fait pas exception aux autres avec son lot de crimes et d’horreurs. Aujourd’hui un discours de paix est souvent difficile à tenir et ceux qui soutiennent une désescalade sont taxés de faire “la propagande de l’autre camp”, empêchant tout débat rationnel. S’il est nécessaire de rester prudent sur les informations disponibles et vérifiées, ainsi que sur une situation diplomatique et militaire qui change rapidement, nous ne pouvons faire l’économie d’une discussion sérieuse. D’une part, nous voulons ici expliciter pourquoi, selon nous, l’OTAN ne peut pas faire partie de la solution à la guerre actuelle. D’autre part, nous souhaitons évoquer une autre organisation, aux buts et à l’histoire différents, l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), auquel nous estimons qu’il faut redonner de l’importance et s’en servir comme outil pour construire la paix sur notre continent.
- L’OTAN : Origine, histoire et objectifs
L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord « est une alliance défensive et elle continuera d’œuvrer en faveur de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans l’ensemble de la zone euro-atlantique. » peut-on lire dans le communiqué de presse des 30 états-membres lors du sommet 2021. De 12 membres à ses débuts, l’alliance militaire n’a fait que croître depuis sa création.
Mise en place en 1949 avec l’idée de lutter contre le communisme, et l’URSS en particulier, l’OTAN s’inscrit directement dans la logique de tension entre le « bloc communiste » d’une part et le « bloc capitaliste » de l’autre. Il fallait à tout prix s’opposer à l’URSS au niveau militaire et garder le contrôle sur le vieux continent, mais aussi le tenir éloigné des idées communistes qui risquaient de contaminer ses populations. Loin d’être une alliance défensive comme cette organisation et ses soutiens tentent de convaincre l’opinion publique, l’Otan est bien une force offensive et militariste.
L’alliance atlantique reflétait également une ambition économique. Dans son article 2, sa charte stipule que les États membres “s’efforceront d’éliminer toute opposition dans leurs politiques économiques internationales et encourageront la collaboration économique entre chacune d’entre elles ou entre toutes.”. Le premier secrétaire général de l’OTAN, Lord Ismay, résumait ainsi la mission de l’organisation “To keep the Russians out, the Americans in, and the Germans down”. Dès sa conception s’entremêlent donc les intégrations militaires, commerciales et économiques.
En 1955, suite à l’entrée de l’Allemagne de l’Ouest dans l’Otan, l’Union soviétique réagit par la mise sur pied de sa propre force de défense collective : le Pacte de Varsovie. Celui-ci rassemble autour de l’URSS la plupart de ses pays satellites. Après la chute de l’Union soviétique, ce Pacte a été dissous en 1991. À ce moment, il a été promis au président soviétique Gorbatchev que l’Otan ne s’étendrait “pas d’un centimètre” vers l’Est. Malgré la dissolution du pacte de Varsovie, l’OTAN a pourtant été maintenue, s’est étendue à de nombreux pays de l’ex bloc de l’Est et a peu à peu redéfini ses missions. Aujourd’hui, l’OTAN et ses États membres, sous la pression continue des Etats-Unis, s’engouffrent de plus en plus vers une confrontation de bloc comme celui de la guerre froide. L’ennemi n’est plus aujourd’hui le « monde communiste » mais bien tout pouvoir hostile ou non inféodé aux intérêts économiques états-uniens dans le monde. En particulier depuis les présidences de B. Obama, les Etats-Unis ont adopté un “pivot stratégique” vers l’Asie, tentant d’entraîner l’Europe dans sa politique d’affrontement (ou de containment) de la Chine, et dans une moindre mesure contre la Russie.
- La Libye, cas d’école de la logique atlantiste
L’OTAN serait donc une alliance défensive au service de la démocratie. Pourtant, si l’on regarde les opérations de celle-ci, il est difficile de les justifier comme défensives. Yougoslavie, Afghanistan, Irak, Libye et Syrie ne s’inscrivent pas dans cette logique pour la simple raison qu’aucun de ces pays n’a attaqué un pays membre de l’alliance (art.5 du traité de Washington).
Dans la foulée des printemps arabes, la Libye connaît une montée en puissance de la contestation populaire. En mars 2011, la France intervient dans la guerre civile, jugeant que Kadhafi, dirigeant alors en place, doit partir. Les motivations officielles sont bien de libérer le peuple libyen de son dirigeant, Mouammar Kadhafi.
Contrairement à beaucoup de pays ayant connu un printemps arabe, le niveau de vie des Libyens était relativement élevé en comparaison avec les pays alentours: éducation gratuite et de haut niveau, avancée dans l’égalité homme-femme, soins de santé gratuits, accès au logement etc.
Malgré cela, les libertés politiques posaient clairement problème dans ce pays. Le liberté de presse est quasi inexistante, donnant lieu à des répressions très dures, oppositions politiques faibles et contrôlées et société civile encadrée par le régime.
Pourtant plusieurs autres raisons sous-jacentes à l’intervention sont avancées par différents analystes. Outre la volonté des occidentaux d’avoir plus de contrôle sur le pétrole libyen, le projet de création (à l’initiative de la Libye) d’une monnaie africaine commune pour concurrencer le Franc CFA (relique de la période coloniale) semble être un des moteurs de la volonté de destituer le pouvoir en place. De même, la volonté de la France d’affirmer sa puissance militaire et l’efficacité de son matériel est également régulièrement évoquée. Dans cette optique, rappelons par exemple que, malgré l’embargo sur les livraisons d’armes décrété dès 2011 par l’ONU, bon nombre de pays ont continué de livrer des armes aux différentes parties prenantes au conflit. La France, mais aussi la Turquie ou encore la Russie étaient ainsi pointées du doigt par la Mission des Nations unies en Libye (Manul) qui « regrette profondément les violations flagrantes et persistantes de l’embargo sur les armes » […] « malgré les engagements des pays concernés » pris à Berlin le 19 janvier. Enfin, la guerre de 2011 a amené de nombreux mercenaires des pays avoisinants à combattre sur le territoire libyen. Ceux-ci, une fois leurs “missions” terminées, sont repartis avec leur armes et celles-ci ont pu servir dans d’autres régions comme le Mali, la Syrie ou encore la Somalie.
La guerre Libyenne a apporté son lot de désastres pour les populations Libyennes mais aussi pour les populations en transit dans le pays; la Libye étant un pays important de la route migratoire vers l’Europe. Ces populations font alors face, dans un pays au pouvoir atomisé entre pouvoir régional, local et chefs de guerres ou groupes de l’Etat Islamique, a un trafic d’êtres humains sans précédent, les fameux “marchés aux esclaves » filmé par CNN et qui avaient choqué le monde en sont un exemple criant.
Enfin, pour la Libye comme pour toute la région, les livraisons d’armes aux différents groupes rebelles ont eu des conséquences dramatiques. Elles furent livrées de façon peu contrôlée, avec leur circulation inévitable lors d’un conflit (capture de stocks par tel ou tel groupe, trafics divers…). Cette circulation intense d’armes a prolongé et aggravé les combats dans le pays, mais aussi dans la région, en particulier au Sahel où les afflux d’armes (capturés à l’armée libyenne après la chute du gouvernement ou issues directement des livraisons occidentales) fournissent à toute une série de groupes, djihadistes ou non, des moyens de terroriser la population, commettre des exactions et intensifier les conflits dans la zone. Les combattants anti-Kadhafi faisaient notamment partie de ceux ayant reçu les livraisons d’armes de la France, la guerre pour la démocratie passait donc par l’armement de toute opposition au régime quel qu’il soit. On peut alors décemment se poser la question des retombées futures de ce type de livraisons et à être pessimistes quant aux conséquences futures des envois massifs d’armes à l’Ukraine. Dans quelles mains quelles mains sont-elles tombées et quels futurs conflits risquent-elles d’alimenter?
Aujourd’hui, après plus de 10 ans de guerre, la Libye reste dans un état instable et on peut dire sans l’ombre d’un doute que les promesses de démocratie des va-t’en guerre de l’époque, gouvernement belge compris, sont loin de s’être réalisées.
- L’OTAN : Un outil au service des États-Unis
Biden est récemment passé en Europe pour « travailler avec les alliés sur des ajustements de long terme » [concernant la présence de l’OTAN en Europe de l’Est]. Comme à chaque visite d’un président Américain en Europe, il s’agissait de convaincre les différents pays du vieux continent qu’il faut pérenniser et augmenter leurs investissements respectifs dans l’armement. La Belgique, après avoir investi ces dernières années dans 34 avions de chasse F-35 (à capacité nucléaire) pour un budget de 15 milliards, a annoncé dès le début de la guerre débloquer 1 milliard supplémentaire afin de soutenir « le dispositif de l’OTAN » qui se développe à l’Est. Notre pays et l’ensemble des pays membres de l’alliance, mais aussi des pays comme la suisse, ont de plus décidé de soutenir l’envoi d’armes en Ukraine. L’Allemagne, qui n’a plus envoyé d’armes à un pays tiers depuis la seconde guerre mondiale par exemple, a livré des milliers de missiles aux combattants ukrainiens.
Une composante importante de l’arsenal de l’OTAN sont les armes nucléaires, majoritairement détenues par les Etats-Unis, mais aussi par la France et la Grande-Bretagne. La vision derrière cette capacité nucléaire est décrite ainsi selon l’organisation: “L’objectif fondamental de la capacité nucléaire de l’OTAN est de préserver la paix, de prévenir les actions coercitives et de décourager les agressions.” La Belgique, membre de l’OTAN, et bien que cela soit illégale de par le traité de non prolifération auquel elle a souscrit, abrite depuis 1963 des armes nucléaires sur le site de Kleine-Brogel, comme le rappelait il y a peu Samuel Legros, porte-parole de la CNAPD.
Au final, malgré ses principes fondateurs et sa communication publique vantant une alliance défensive et œuvrant pour la paix, l’OTAN a dans son histoire mené uniquement des opérations offensives. Toutes les grandes opérations ont été menées pour intervenir dans des conflits ou crises extérieurs ne menaçant pas la sécurité du territoire des pays membres (les deux interventions en ex-Yougoslavie -Kosovo et Bosnie-Herzégovine-, Afghanistan, Libye).
De plus, l’OTAN, pourtant dirigée par des nations ayant co-fondé le droit international et s’en réclamant régulièrement, ne s’est pas embarrassée d’une absence de mandat pour intervenir et donc mener des opérations militaires illégales au regard du droit international.
L’OTAN reste le vecteur d’une politique décidée à Washington pour ce qui est des décisions stratégiques et militaires, ainsi qu’un outil dans le commerce militaire. Si des états tiers peuvent s’opposer ponctuellement ou repousser des décisions, tout le monde est bien conscient de qui mène la barque. Outre cela, le fonctionnement de l’OTAN vise une interopérabilité des systèmes d’armement d’une part, et une hausse des budgets militaires d’autre part, ce qui, in fine, revient à augmenter les dépenses militaires de manière générale, mais celles destinées à l’industrie américaine en particulier. L’industrie américaine est en effet capable de répondre aux critères de l’OTAN (puisqu’elle en est le fournisseur quasi-exclusif) mais offre également un catalogue «d’armée complète », capable de produire tout le matériel et toute la logistique de l’ensemble des composantes d’une force armée.
La dernière optique à garder à l’esprit est le pourquoi de l’implication et le soutien sans faille de l’OTAN, et à travers elle des Etats-Unis, à l’Ukraine et à la surenchère guerrière. Les Etats-Unis sont en perte de vitesse dans leur hégémonie mondiale (notamment commerciale) et un nouvel ordre géopolitique se dessine peu à peu avec des pays comme la Chine qui inquiète de plus en plus Washington. Au niveau économique, la Chine qui a été longtemps vue comme simplement l’atelier bon marché de l’occident s’affirme partout, devenant un interlocuteur des plus crédible pour le commerce de tout type.
Pour ces raisons, même si nous pourrions discuter ailleurs de la pertinence de l’OTAN pour réellement défendre notre territoire s’il était attaqué, nous voyons que l’OTAN a été et reste un outil de domination politique, militaire et industrielle des Etats-Unis, sans préoccupation du droit international, et au bilan d’interventions catastrophique. Elle ne peut à ce titre être considérée comme une solution dans la guerre actuelle en Ukraine.
- Pourquoi des négociations sont inévitables
Fin avril, dans une interview, Jeremy Corbyn, nous disait ceci: “Je pense qu’il doit y avoir une discussion sur le rôle de l’OTAN, même le président Zelensky accepte maintenant que l’Ukraine ne deviendra pas membre de l’OTAN. Il comprend l’argument d’une Ukraine neutre et non alignée, ce qu’était d’ailleurs l’accord de Minsk. L’OTAN doit entrer en dialogue avec la Russie afin d’essayer de réduire les tensions. […] Les dangers d’un renforcement des forces russes et de l’OTAN en face à face à une frontière peut conduire à un danger, exactement de la même manière que les forces américaines avec l’Australie dans le sud de la mer de Chine vont attiser la tension avec la Chine. Les tensions mènent à des erreurs, les erreurs mènent à des problèmes, les problèmes mènent à la guerre.” J. Corbyn 22 avril 2022
Les aléas des avancées et reculs militaires empêchent parfois de prendre du recul. Au-delà de la question de la prise de telle ou telle ville, arrivera un moment, maintenant ou dans vingt ans, où les combats cesseront. Même sans traité de paix formel, des négociations resteront indispensables pour toutes les parties. Quelle que soit la nature des arrangements, précaires et temporaires ou solides et durables, des lieux de discussion et des systèmes de contrôle devront exister. Ainsi devront être organisés les questions d’échange de prisonniers, de respect de frontières ou de lignes de démarcation, les accords de déploiement de forces militaires et cetera.
L’exclusion récente de la Russie du Conseil de l’Europe[1] a marqué la disparition d’un lieu de discussion entre la Russie et les pays occidentaux. Le Conseil de l’Europe ne représente cependant pas un outil diplomatique au sens strict, et cette exclusion aura plus de répercussions symboliques que stratégiques.
L’Organisation des Nations unies souffre de nombreux blocages dus à de multiples phénomènes : blocage des décisions par les vétos des membres permanents du conseil de sécurité, appareil bureaucratique lourd, faible autorité et crédibilité au regard des violations systématiques dont ses décisions ont fait l’objet.
Nous voulons ici nous pencher sur une autre organisation, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Nous verrons qu’elle présente des faiblesses, mais également des possibilités qui doivent être examinées si l’on souhaite réfléchir à la construction de la paix dans la région. Pour aller plus loin dans la compréhension de l’OSCE.
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En 2021, les mouvements pacifistes belges et plus largement européens organisent des manifestations contre la militarisation de l’Europe, notamment l’augmentation des dépenses militaires imposées par l’OTAN et la course aux armements nucléaires. Le sommet de la paix qui se tient à Madrid en juin 2022 s’inscrit dans la continuité de ces mobilisations entamées au milieu de la pandémie.
La déclaration du Sommet de la Paix de Madrid est le résultat des efforts communs des mouvements sociaux et pacifistes, des syndicats et des organisations politiques. Le Sommet de la Paix combine les revendications de la lutte contre l’OTAN et pour un système de sécurité non militaire, sans armes nucléaires, sans bases militaires à l’étranger et l’investissement des dépenses militaires actuelles dans la sécurité sociale et la justice climatique mondiale.
Unissons nos forces dans la lutte pour la paix, la justice environnementale et sociale !
Nous appelons les citoyens et les associations à s’opposer au prochain sommet de l’OTAN à Madrid en juin 2022 et à montrer que nous rejetons la guerre et le militarisme.
Nous vous invitons à rejoindre nos actions !
Vous souhaitez en savoir plus sur les thèmes du climat et de la militarisation? Sur l’OTAN et sur ce que cette organisation a à l’ordre du jour ainsi que son impact sur les peuples et l’environnement ? Visionnez cette vidéo EAT NATO FOR BREAKFAST ! Les sous-titres sont disponibles dans la barre d’outils, en bas à droite sur la vidéo.