Le coronavirus est apparu à Cuba à la mi-mars. Le Centro Felix Varela, organisation active sur le changement climatique se sert de son réseau climatique et de sa méthodologie unique dans la lutte contre cette épidémie.
Julie Steendam a réalisé une interview avec deux de leurs bénévoles.
Le Centro Felix Varela (CFV) renforce les communautés vulnérables dans toute l’île de Cuba en se focalisant sur deux thèmes : la promotion de la cohabitation paisible d’une part et la protection du cadre de vie d’autre part. Ils réunissent à cet effet différentes organisations existantes qui ont déjà une grande connaissance du terrain mais qui n’ont pas encore abordé ces thèmes spécifiques. Il s’agit d’associations de parents, de professeurs et de conseils d’administration locaux. Dans le cadre du plan climat cubain, ils ont pour tâche de sensibiliser leurs concitoyens aux risques du changement climatique.
Pour ce faire, ils utilisent la méthode ‘Mapa Verde’. Les enfants, les parents, les pêcheurs, les petits indépendants, … créent une carte de leur propre village ou quartier à travers différents ateliers. Ils organisent des ateliers de brainstorming et des forums de discussion pour identifier les plus beaux sites, idéaux par exemple pour aller nager ou pour visiter un site historique instructif. Mais ils vont aussi à la recherche d’endroits moins attractifs, comme des tuyaux de vidange des usines polluantes, des déchets qui traînent dans les rues, des lieux dangereux la nuit et des zones inondables. Ces ‘cartes vertes’ sont un moyen éducatif et pédagogique tant pour les réseaux civils que pour les conseils locaux. L’étape suivante consiste à analyser les conséquences négatives. Ainsi, l’eau stagnante polluée peut être un terrain propice pour les moustiques vecteurs de maladies, et la pollution de l’air peut engendrer des problèmes respiratoires.
A présent, les conseils d’administration locaux et les groupes de bénévoles utilisent cette méthodologie et ces connaissances pour identifier les zones à haut risque d’exposition au Covid-19 et pour informer la population. La carte indique les lieux où les gens se côtoient de très près, comme les marchés et les immeubles à appartements ou les endroits où habitent beaucoup de personnes vulnérables, comme les seniors.
Julie a eu l’occasion de parler via Whatsapp avec une bénévole du CFV qui habite à Alamar, dans l’est de La Havane, et avec Barbara qui est une bénévole de San Cristóbal, à l’intérieur de la province occidentale d’Artemisa.
Quel est l’effet du coronavirus sur le réseau ‘Mapa Verde’ ?
Il y a des conséquences positives et négatives. La plupart des groupes de ‘mapeadores’ sont des écoliers, or depuis fin mars, les écoles sont fermées. Ils ne pourront donc terminer leurs cartes pour la fin du mois de juin. D’autres activités publiques ont été annulées et les réunions mensuelles de coordination n’auront pas lieu. Nous restons en contact via whatsapp, par téléphone et par e-mail, mais tous n’ont pas un smartphone ou un accès à internet.
Le siège de Centro Felix Varela se situe dans un quartier entièrement placé en quarantaine. Heureusement il n’y a pas encore de malades dans notre réseau, malgré le fait qu’il y ait une femme plus âgée qui a été contaminée par sa fille spécialement venue de l’étranger pour lui rendre visite.
Mais le côté positif, c’est que nous pouvons enrichir nos connaissances. Ainsi, nous avons pu constater qu’il faut ajouter de petites icônes sur les cartes afin de cartographier également les problèmes sociaux. Nous avons déjà expérimenté cette méthode contre les violences liées au genre. Nous voulons également créer une icône qui symbolise la reconstruction afin de pouvoir suivre cet aspect-là aussi au cours d’une catastrophe ou à l’issue de celle-ci.
Grâce à nos ‘mapas verdes’, nous savons où se trouvent les zones les plus vulnérables. Cette information a maintenant été inclue dans les plans de prévention officiels. Une autre expérience qui a prouvé aujourd’hui son utilité est l’utilisation de cartes vertes gérontologiques qui visualisent les facteurs de vulnérabilité des personnes âgées dans leur quartier. Nous n’avons encore jamais vécu une situation pareille, même s’il y a eu des exercices utilisant des cartes vertes épidémiologiques à Edesio Perez et à Manicaragua. Nous devons à présent développer ces expériences car le réchauffement climatique sera probablement à l’origine d’autres épidémies.
À San Cristóbal, nous aidons à informer les habitants et nous distribuons des masques de protection. On sait que beaucoup de gens se fabriquent des masques « maison », et ce n’est pas différent chez nous. Nous sommes à la disposition des comités de quartier pour apporter notre aide là où c’est possible.
Quelle est la situation dans ton quartier ?
La Havane est n’a pas encore été fortement touchée. Dans la capitale, c’est surtout dans les quartiers Plaza, Cerro, la Vieille Havane et le centre qu’il y a le plus de contaminations. Tout comme c’est le cas pour le changement climatique, nous pouvons constater qu’il existe maintenant dans tout le pays un problème avec la perception des risques. La population est informée quotidiennement et il y règne une très bonne ambiance de coopération entre les différentes institutions, les organisations sociales et les indépendants. Tous ont adapté leur façon de travailler afin d’être le plus efficace possible et d’encourager la distanciation sociale. Et les services d’ordre sanctionnent ceux qui ne respectent pas les mesures.
De quelle manière le secteur de la santé est-il impliqué dans votre travail ?
La santé doit être définie comme un sentiment général de bien-être. À Cuba, il s’agit donc pour nous essentiellement de la santé de la population. Tout le monde doit y participer : la classe moyenne, le gouvernement, le commerce, l’agriculture, les institutions qui veillent au respect des règles, les services d’ordre, l’armée, les sportifs, les travailleurs sociaux, les différents types d’entreprises, les universités et leurs étudiants, …
Les comités de quartier et les étudiants en médecine parcourent régulièrement les rues et frappent à la porte des habitants pour les interroger sur leur état de santé.
Les polycliniques [une sorte de centre de santé de quartier offrant des soins primaires et secondaires, red.] font tout leur possible. Le personnel infirmier et les médecins généralistes rendent plus fréquemment visite aux patients qui ont un dossier médical.
Rester confiné chez soi n’est pas facile. Quelles initiatives existe-t-il pour protéger la santé mentale ?
La presse écrite, la radio, la télévision et les médias sociaux diffusent maintenant des programmes et des documents qui donnent des astuces pour gérer au mieux le confinement. Ils conseillent comment créer une routine quotidienne, proposent des exercices sportifs ou des idées de travaux de couture, des jeux pour les enfants et pour toute la famille, et invitent à participer à des défis photo ou autres. Il y aussi des devoirs à faire pour développer son activité dans l’artisanat ou sa créativité photographique. Des professionnels utilisent des méthodes pour faire baisser les sentiments d’angoisse. De nouveaux types d’information, de divertissement et de programmation musicale surgissent à la télé. Sur Facebook il y a par exemple un groupe qui partage de nouvelles recettes simples. On peut aussi télécharger des films et des séries télévisées sur son portable. Les élèves reçoivent de leurs enseignants des devoirs en ligne, qui impliquent tous les membres de la famille.
Cette interview a été réalisée par Julie Steendam qui séjourne actuellement à Cuba. Vous pouvez la suivre sur son blog Eeuwige Zee (en néerlandais).
Nous partageons l’appel de la Coordination pour la levée de l’embargo sur Cuba à envoyer un message de solidarité au pays. Vous pouvez le faire en ligne en cliquant sur le lien suivant où vous pouvez également lire des témoignages de Cubains.
* Le Centre Felix Varela est un partenaire de Cubanismo.be et Viva Salud.