Chronique d’une crise annoncée au Congo
Quand les Etats-Unis sont prêts à tout pour chasser les compagnies minières chinoises du pays
Des élections sont prévues au Congo le 20 décembre. Au premier jour de la campagne électorale, le président Tshisekedi a reçu la visite d’une délégation gouvernementale américaine de très haut niveau. Leur principale préoccupation : chasser les compagnies minières chinoises du Congo.
Tony Busselen
Lundi 20 novembre, jour du lancement officiel de la campagne électorale, un avion se pose à N’Djili, l’aéroport proche de Kinshasa. A son bord, une très importante délégation du gouvernement américain, dirigée par Avril Haines. Mme Haines n’est peut-être pas aussi connue que le secrétaire d’État Blinken, mais elle est un membre au moins aussi important de l’administration Biden. En tant que « directrice du renseignement national », les 17 agences de renseignement américaines sont placées sous sa direction. À ses côtés à Kinshasa, Molly Phee, sous-secrétaire d’État à l’Afrique, est la principale responsable de l’Afrique au sein du département d’État.
Pendant trois heures, ces deux hauts fonctionnaires, ainsi que l’ambassadeur des États-Unis au Congo, ont rencontré le président Tshisekedi à huis clos dans un salon présidentiel de l’aéroport. Après cette rencontre, la délégation est repartie à Kigali, d’où elle venait, pour une autre rencontre avec le président rwandais Kagame.
De quoi une délégation d’un niveau aussi exceptionnel est-elle venue discuter avec le président Tshisekedi à un moment aussi crucial que le premier jour de la campagne électorale ?
La presse congolaise n’a rien su et n’a pu que spéculer, mais le site d’information américain Politico s’est renseigné à Washington et a publié un article sur cette visite de haut rang dix jours plus tard. « Les guerres en Ukraine et entre Israël et le Hamas déstabilisent déjà des régions entières et mettent sous pression les alliances mondiales. Un conflit entre le Congo et le Rwanda pourrait facilement s’étendre à d’autres parties de l’Afrique. Il pourrait également saper les efforts des États-Unis pour contrer la Chine sur le continent », peut-on lire.
Un peu plus loin, Politico précise quelle est la principale préoccupation des États-Unis en Afrique centrale : « La rencontre avec M. Haines intervient à un moment où Washington tente de contrer la Chine en Afrique. Le Congo abrite environ 70 % des réserves mondiales de cobalt et la Chine en est le plus grand producteur. Pékin est le premier partenaire commercial de Kinshasa et a acquis d’importants droits miniers à partir des années 2000. Le contrôle du marché donne au pays une grande avance sur les États-Unis dans la course aux composants cruciaux pour les batteries des véhicules électriques ».
Un plan de paix ou …
« Une guerre au Congo compliquerait les efforts de Washington pour éloigner le pays de la Chine et obtenir un meilleur accès à ses minerais essentiels pour les véhicules électriques et d’autres technologies de pointe », rappelle Politico. Après 25 ans de guerre misérable, encouragée aveuglément par les États-Unis, si la guerre reprend, la colère du peuple congolais pourrait en effet se retourner contre les États-Unis. M. Haines aurait présenté aux deux présidents un accord de paix, que les deux dirigeants auraient accepté, selon le site d’information américain.
Toutefois, la teneur de ce plan de paix reste incertaine.
Le président Tshisekedi ne pourrait accepter un tel plan que s’il garantissait sa réélection. Cette dernière option est certainement envisageable pour les États-Unis, car Tshisekedi s’est souvent montré très influençable par l’Occident dans le passé. Politico cite Cameron Hudson, ancien analyste du renseignement pour l’Afrique à la CIA : « Au moins, ce gouvernement a déjà montré sa volonté de revoir les contrats avec la Chine ». En effet, le 16 février dernier, l’administration Tshisekedi a publié un rapport très critique sur le contrat avec la Chine.
Et depuis sa prise de fonction en tant que président en janvier 2019, Tshisekedi s’était auparavant profilé comme très docile envers l’Oncle Sam. Sous la direction de l’ancien ambassadeur américain, il a rompu son alliance avec Kabila et a fait du Congo un membre de l’EAC (Communauté d’Afrique de l’Est) qui comprend des pays comme le Kenya, le Soudan du Sud, l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie. Il a ensuite accepté – également sous les applaudissements nourris de la diplomatie américaine – l’idée de demander des troupes à l’EAC pour stopper l’avancée du M23. Mais une fois sur le terrain, il s’est avéré que ces troupes étaient plutôt amicales envers le M23 soutenu par le Rwanda, à la grande colère du peuple congolais. Ce qui a contraint Tshisekedi à demander à l’EAC de retirer ses troupes et à se tourner à nouveau vers la SADC (South African Development Community), qui comprend des pays comme l’Afrique du Sud, la Namibie et le Zimbabwe, qui ne sont pas très appréciés à Washington.
En d’autres termes, Tshisekedi ne s’avère pas être un partenaire fiable à 100 % pour les États-Unis dans un certain nombre de domaines. Bien qu’il ait vivement critiqué la société minière chinoise Sicomines, Tshisekedi a accordé une interview à la télévision chinoise lors de son voyage en Chine en mai de cette année, dans laquelle il s’est distancié de la politique de condamnation et d’ingérence à l’égard de la Chine. Et en août 2022, lorsque le M23 a commencé son offensive, il a envoyé son ministre de la défense à Moscou, ce qui a été très mal perçu par les capitales occidentales.
De nombreux observateurs notent ainsi que le principal opposant de Tshisekedi, Moise Katumbi, ancien gouverneur de la province du Katanga et riche homme d’affaires, semble désormais bénéficier d’un soutien important de la part des Etats-Unis.
… signe avant-coureur d’une crise
À l’approche des élections, une crise majeure au Congo semble inévitable. Certains analystes prédisent, 10 jours avant la date des élections, que celles-ci seront encore reportées. D’autres affirment que les élections auront lieu, mais qu’elles seront très contestées. Quoi qu’il en soit, une crise se profile à l’horizon.
Mais si l’on tient compte de l’évolution de la situation à l’Est depuis la visite de Haines, le soi-disant plan de paix américain ne semble pas du tout garanti.
Le vendredi 8 décembre, deux semaines après la visite de Haines, Tshisekedi promettait encore que « Kagame finirait comme Hitler ». Et le M23, renforcé par de nouvelles troupes rwandaises et des mercenaires, s’empare le même jour de la ville de Mushaki, isolant à nouveau complètement Goma et laissant la ville de 2 millions d’habitants avec le lac Kivu comme seule voie d’approvisionnement.
Le lundi 11 décembre, la Maison Blanche à Washington a publié un communiqué annonçant qu’un cessez-le-feu serait imposé du lundi après-midi au jeudi après-midi, sous la surveillance des services de renseignement américains. Mardi soir, il n’y avait aucun signe de cessez-le-feu.
Il semble que les Etats-Unis voient venir la crise et veulent jouer le rôle d’arbitre afin de poursuivre leur objectif principal – réduire la présence de la Chine – quelle que soit la tournure des événements.
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ENCADRÉ
Évolution et état des lieux du secteur minier congolais
- Sous le colonialisme, le secteur minier était fermement aux mains de l’Union Minière, aujourd’hui Umicore. L’entreprise y réalise de superbes profits et construit un véritable État dans l’État. Elle jouera un rôle clé dans le renversement du gouvernement Lumumba. En 1961, l’Union Minière contrôlait encore un territoire plus grand que la moitié de la Belgique.
- Le 28 mai 1966, le Parlement congolais vote la loi Bakanjika qui stipule que « le sol et le sous-sol congolais appartiennent à l’Etat congolais ». L’année suivante, l’Union Minière sera nationalisée et transformée en Gécamines.
- Les grandes compagnies minières occidentales boudent le Congo pour les prochaines décennies et investissent ailleurs dans des mines de cuivre en Amérique latine (Chili et Pérou).
- Une ordonnance du 5 novembre 1982 prévoit la libéralisation de l’exploitation et de la commercialisation dans le secteur minier. « La mesure permettra l’émergence d’un grand nombre de creuseurs », écrit Gauthier De Villers. La désindustrialisation du secteur minier commence donc à un moment où Mobutu est encore le proche allié de l’Occident. On en voit le résultat depuis plusieurs décennies avec les 150 000 à 300 000 mineurs indépendants, dont beaucoup d’enfants, qui extraient des minerais, souvent à main nue.
- Dans les années 1990 et 2000, les grandes sociétés minières considèrent encore le Congo comme une pomme et une orange : les mines d’Amérique latine et d’Indonésie suffisent amplement à répondre à la demande de cuivre et de cobalt. Au Congo, durant les décennies qui entourent le tournant du siècle, les concessions minières feront surtout l’objet d’une activité spéculative. Les concessions sont achetées dans la perspective de pouvoir être revendues avec un gros bénéfice dans le futur. La production réelle était principalement laissée aux creuseurs.
- En 2008, le gouvernement congolais a signé un important contrat avec la Chine permettant l’exploitation du cuivre et du cobalt en échange de travaux d’infrastructure. Dans le même temps, le gouvernement organise la révision des 60 plus gros contrats miniers signés avant 2006. Il s’avère qu’aucun de ces contrats ne répond aux normes internationales en vigueur et qu’ils sont très préjudiciables à l’Etat congolais.
- Ces deux électrochocs coïncideront avec le début d’un redressement industriel. La production de cuivre en 2022 sera pas moins de 78 fois supérieure à celle de la fin de la dictature de Mobutu, celle de cobalt 23 fois. Les sociétés minières chinoises, en particulier, investissent massivement, prenant le contrôle de la majeure partie de l’industrie minière congolaise. Glencore, à capitaux anglo-saxons, sera l’une des rares sociétés occidentales à se consacrer encore à la production plutôt qu’à la spéculation. Aujourd’hui, 80 % de l’exploitation minière congolaise se fait de manière industrielle.
- Mais en 2023, la « bataille pour l’Afrique » bat son plein : l’Union européenne et les États-Unis tentent de contrer l’influence chinoise en Afrique avec un programme d’investissement de plusieurs milliards de dollars. Le gouvernement Biden veut relancer une ancienne ligne de chemin de fer reliant la région minière africaine (au Katanga et dans la Zambie voisine) au port angolais de Lobito, sur l’océan Atlantique. Des centaines de millions de dollars sont actuellement investis dans ce « corridor de Lobito ». Par exemple, KoBold Metals, une société américaine de technologie minière, souhaite ouvrir une grande mine de cuivre en Zambie pour contrer la domination chinoise, ce qui permettrait également de tirer parti du nouveau projet de corridor de Lobito. Cependant, avec le contrecoup majeur contre la Chine à l’esprit, les États-Unis et l’UE veulent surtout avoir un pied ferme dans la politique congolaise afin de pouvoir pousser le gouvernement de Kinshasa à limiter l’influence de la Chine. D’où leur souci de « paix » et d’élections conformes à (leurs) souhaits.