Avec 55,20 %, le candidat du Parti social libéral (PSL), Jair Bolsonaro, vient de remporter le deuxième tour des élections présidentielles. Face à lui, le candidat de gauche Fernando Haddad (Parti des travailleurs, PT) a remporté 44, 80 % des votes. Comment expliquer le retour en force de la droite ? Pour comprendre, revenons sur l’histoire récente du Brésil.
Le Brésil traverse une crise démocratique depuis 2016. Cette année-là, l’opposition de droite compte en finir avec l’hégémonie du PT, arrivé au pouvoir 12 ans plus tôt avec un programme social et de lutte contre l’extrême pauvreté.
Dans les années 1990, les grands patrons brésiliens font profil bas durant la période des transitions démocratiques. Ils étaient restés discrets pour faire oublier leur soutient à la dictature militaire mais surtout parce que les nouveaux systèmes de démocratie libérale se fondaient sur le principe qu’il n’y avait pas d’alternative au capitalisme et que le système néo-libéral était le seul possible.
Avec l’élection de gouvernements de gauche en Amérique Latine, dont Lula au Brésil, la donne change. Ces gouvernements remettent en question la doctrine néo-libérale et mise sur une répartition plus juste des richesses. Au Brésil, les gouvernements de Lula (2003-2010) puis de Dilma Rousseff (2011 – 31 août 2016) ont rendu accessibles des droits fondamentaux. Ils ont construit, en une décennie, plus d’1,7 million de logements sociaux, universalisé l’accès à l’électricité, augmenté le pourcentage de foyers ayant accès à l’eau, doublé les effectifs universitaires, construit davantage d’universités et d’écoles techniques que dans toute l’histoire du pays jusqu’en 2002. Toutes ces politiques sont le résultat d’un choix : placer les pauvres au centre du budget national, ce qui a été bénéfique pour les populations rurales, les femmes, les jeunes, les communautés autochtones et la population afro-descendante. Ces politiques sociales sont financées en grande partie par les exportations des matières premières. Ce contexte économique favorable permet aux gouvernements d’investir dans le social tout en permettant à une grande partie des élites économiques de continuer à s’enrichir.
Le monde des affaires s’engage contre la gauche
Les choses se compliquent avec la crise financière de 2008 et la chute du prix des matières premières. Pour pouvoir continuer leur politique sociale, les gouvernements progressistes vont devoir toucher aux privilèges des élites. Le monde des affaires, bien décidé à récupérer le monopole de l’État, entre alors dans un militantisme politique de très forte intensité. La droite et le monde du business s’unifient autour d’un objectif : écarter toute alternative à gauche. Cela a commencé par la destitution de Dilma Rousseff et s’est poursuivi par la persécution judiciaire de Lula. Avec une campagne médiatique anti-PT, la droite brésilienne s’est efforcée d’écarter toute possibilité de retour du PT à la présidence du pays. Alors que les sondages donnaient Lula gagnant s’il se présentait aux élections présidentielles, le candidat du PT subit cinq actions judiciaires menées par le ministère public. Mais les autorités n’ont pu prouver un délit dans aucune affaire. La cour suprême de justice a toutefois condamné Lula à 12 années de prison pour avoir soi-disant reçu un appartement comme pot de vin, sans preuve et sans tenir compte du droit à la présomption d’innocence.
L’objectif était de l’exclure de la compétition électorale, car tous les sondages le désignaient comme favori. La trajectoire de 12 ans du PT à la présidence n’a évidemment pas été parfaite, mais Lula aurait gagné les élections si on ne l’avait pas empêché de se présenter. Cette base populaire, sociale, syndicale, de résistance au néolibéralisme, à la droite, au militarisme et au fascisme, donne de l’espoir pour la construction d’un vaste contre-pouvoir.
Bolsonaro, candidat de l’agro-business
Dans un amalgame de conservatisme social et de marketing politique, le candidat d’extrême droite de 63 ans se déploie sur les réseaux sociaux, ce qui lui a permis de gagner un bon nombre de jeunes électeurs. Il passe de 4 millions et demi de suiveurs (4 719 576) sur Facebook, à environ 7,5 millions d’adeptes en l’espace de quelques semaines, dont 32 % ont entre 18 et 24 ans.
Bolsonaro assumera le mandat présidentiel à partir du 1 janvier 2019 jusqu’en 2023. Il a d’ores et déjà promis l’exil ou la prison aux activistes et militants de gauche. Son ascension représente clairement un retour aux manettes du monde des affaires. Bolsonaro est très proche du lobby brésilien de l’agro-industrie. Lobby qui pèse de tout son poids dans l’économie puisqu’il s’agit du secteur de l’exportation des matières agricoles, en particulier de viandes et de soja qui sont l’enjeu spécifique de la question amazonienne en termes de déforestation au profit d’intérêts privés. Bolsonaro s’est fait leur porte-parole. Il prévoit d’enlever toute entrave à l’exploitation des sols de l’Amazonie afin de les utiliser pour la culture de soja et pour la viande. Il promet également de mettre de côté toutes les réglementations environnementales qui ont été durement acquises au cours de ces dernières années au Brésil. Il propose encore de supprimer le ministère de l’Environnement pour l’intégrer au ministère de l’Agriculture, qui représente les intérêts des riches propriétaires terriens. Il a déjà annoncé qu’il sortirait le Brésil de l’accord climatique, à l’instar de Donald Trump.
Comités populaires
Dans cette lutte politique totalement inégale, le résultat d’Haddad, avec 31 342 005 voix, est important pour les luttes futures. Le leader du Mouvement des travailleurs sans terre (MST), Joao Pedro Stedile, a soutenu que le PT et les autres organisations de gauche doivent renforcer les mouvements populaires et organiser le peuple pour affronter le futur gouvernement de Jair Bolsonaro.
Selon Stedile, si l’agenda néolibéral du nouveau gouvernement se concrétise, il engendrera un chaos social et les mouvements populaires devront reprendre l’offensive et les mobilisations massives.
Le leader du MST a averti que les organisations politiques et sociales de gauche sont mises au défi d’organiser des comités populaires dans tout le Brésil afin d’avancer sur un nouveau projet souverain pour une société égalitaire et juste.