Pour un hommage aux ouvriers congolais et belges
mouvement INTAL – Mardi 1 septembre 2020
Depuis plusieurs années, une stature rendant hommage aux vétérans coloniaux à l’hôtel de ville de Charleroi pose débat et son enlèvement est demandé par les associations de terrain. Dans le cadre de la décolonisation de l’espace public, Intal estime que cette statue n’a pas sa place dans l’hôtel de ville mais plutôt dans un espace éducatif expliquant son origine et son contexte. Nous sommes également pour la remplacer par hommage aux ouvriers belges et congolais, Charleroi étant la ville par excellence incarnant la force ouvrière.
A quel événement nous voulons rendre hommage ?
Durant la seconde guerre mondiale, le Congo a été un fournisseur de matières premières notamment l’or et l’uranium d’une importance capitale pour les alliés (Etats-Unis et Grande-Bretagne) qui avaient perdu son approvisionnement en Extrême-Orient. En juin 1942, le Gouverneur général Ryckmans déclara à Kinshasa l’engagement économique et militaire du Congo. La contribution de la Belgique dans la guerre a été principalement celle du Congo : 85% des ressources de Belgique venait du Congo.
Afin de garantir cet approvisionnement, une série de dispositions ont été adoptée au Congo légalisant ce qu’on peut appeler « le travail forcé ». Ainsi, parmi ces dispositions, on peut relever l’ordonnance du 10 mars 1942 relative à la contribution des indigènes à l’effort de guerre qui a doublé le nombre de jours de travaux agricoles imposés, celle du 9 mai 1942 relative à la réquisition civiles des travailleurs immobilisant indéfiniment les travailleurs dans les mines, les entreprises industrielles et agricoles et enfin celles du 1er février 1943 et du 15 juin 1944 établissant la réquisition forcée des travailleurs et l’étendant à tout le territoire ce qui a entrainé de véritables « déportations » de travailleurs.
C’est ainsi que dans ce contexte, des travailleurs congolais et belges ont protesté contre ces mesures et se sont mis en grève pour réclamer des salaires plus élevés. A cet égard, les grèves de 1941 dans les camps de Shituru et de Panda, complexe industriel le plus important de l’Union minière, sont emblématiques de la force et de l’unité des ouvriers. Concrètement, en octobre 1941, les ouvriers blancs ont commencé une grève qui déboucha sur l’augmentation des salaires. Le 4 décembre 1941, les ouvriers noirs se sont à leur tour mis en grève pour également l’augmentation des salaires.
Le récit chronologique de cette grève marqua l’histoire du Congo :
– 3 décembre : le porte-parole des grévistes a informé la direction de l’Union minière d’une grève générale dans les camps de Shituru et de Panda. En réaction, les autorités adoptèrent un arrêt réquisitionnant tous les travailleurs sous peine de 5 ans de prison.
– 4 décembre : des soldats sont envoyés dans les camps de Shituru et Panda, un premier ouvrier
noir gréviste fut tué.
– 8 décembre : la grève s’élargit sur d’autres sites miniers, Kambove et Shanguluwe.
Le 9 décembre, l’horreur se produit : Sur ordre du Gouverneur du Katanga, Amour Maron, les soldats rassemblèrent sur le terrain de football de Lubumbashi, les travailleurs accompagnés de femmes et enfants. Les soldats s’alignèrent en peloton.
Le Gouverneur exigea des travailleurs qu’ils reprennent le travail. Le porte-parole des grévistes, Léonard Mpoy, s’avança pour discuter mais les soldats tirent sur les gens rassemblés. Le bilan est lourd : au total 98 tués dont deux femmes et un enfant, 50 blessés dont l’admission avait été refusé à l’hôpital de l’Union minière sont morts le lendemain. Après ce massacre, les ouvriers blancs ont abandonné leur travail en protestation « à l’assassinat dont venaient d’être victimes leurs frères noirs. Les salaires ont été augmenté de 25 à 50 % et le Gouverneur du Katanga resta à son poste et fut même promu inspecteur d’Etat.
Nous pensons que l’hommage à ces ouvriers serait pour la ville de Charleroi est symbole fort de
reconnaissance du rôle des ouvriers congolais et belges dans l’apport à la seconde guerre mondiale, en outre, il s’agirait également d’une reconnaissance d’une exploitation coloniale belge réprimant par la force.
Sources :
B. Verhaegen et J. Stengers, le Congo belge durant la seconde guerre mondiale, Recueil d’études,
Académie royale des sciences d’Outre-mer, Bruxelles, 1983.
J. Marchal, Travail forcé pour le cuivre et l’or, l’histoire du Congo 1910-1945, Tome 1, Paula Bellings, 1999.