Elections palestiniennes
Briefing paper – Avril 2021
Résumé
Annoncées le 15 janvier 2021 par le président Abbas, les élections palestiniennes concernent le Conseil législatif palestinien (CLP, Parlement des territoires palestiniens administrés par l’Autorité palestinienne), ainsi que la présidence de l’Autorité palestinienne (AP). Ces élections, qui seront complétées par la nomination d’un nouveau Conseil national palestinien (CNP, Parlement de l’Organisation de libération de la Palestine) ne peuvent être assimilées à l’exercice de la démocratie étant donné qu’elles se déroulent sous occupation. Néanmoins, les prochaines élections offrent des opportunités pour la réalisation des droits du peuple palestinien et la relance d’un processus de paix à l’abandon. Pour saisir ces opportunités, nous avons identifié avec nos partenaires palestiniens des enjeux-clés : la reconnaissance des résultats, le vote des Palestiniens de Jérusalem-Est, la participation et le vote des prisonniers palestiniens, le respect des principes démocratiques, la représentation des jeunes et des femmes et l’incidence de la pandémie de Covid-19. Si elles ont lieu, les élections palestiniennes peuvent être un événement qui change la donne. Il importe donc que la Belgique et l’Union européenne y accordent toute leur attention pour en anticiper les éventuelles conséquences. Recommandations Au vu des enjeux et afin de saisir les opportunités que représentent les élections palestiniennes, nous demandons à l’UE et à la Belgique de :
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Structures politiques palestiniennes[1]
Le 15 janvier 2021, le Président Mahmoud Abbas a annoncé la tenue prochaine d’élections palestiniennes pour le Conseil législatif palestinien (22 mai) et la présidence de l’AP (31 juillet) ainsi que la formation d’un nouveau Conseil national palestinien (31 août). L’annonce est importante vu les désaccords récurrents entre le Fatah et le Hamas sur le sujet ces dernières années.
Pour comprendre les structures politiques palestiniennes, il est nécessaire avant tout de distinguer l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de l’Autorité palestinienne (AP). Créée en 1964, l’OLP est la seule organisation représentative de l’ensemble du peuple palestinien, à l’exception des citoyens palestiniens d’Israël, mais incluant les réfugiés. Néanmoins, le Hamas et le Jihad islamique ne font jusqu’à présent pas partie de l’OLP et n’y sont donc pas représentés, même s’ils y sont acceptés comme observateurs. L’AP a quant à elle été créée en 1994 par les Accords d’Oslo pour administrer les Palestiniens du territoire palestinien occupé (c’est-à-dire de Gaza, Cisjordanie et Jérusalem-Est).
Le Conseil législatif palestinien (CLP) est la branche législative de l’AP. Le CLP a déjà connu des élections en 1996 et en 2006. Le CLP ne s’est plus réuni depuis la guerre intestine entre le Hamas et le Fatah de 2007. Le 12 décembre 2018, la Cour constitutionnelle a publié un décret dissolvant le CLP et appelant à des élections législatives endéans les 6 mois, élections jusqu’ici reportées. Depuis 2007, le président palestinien gouverne donc par décrets présidentiels. Dans la bande de Gaza, de nombreuses lois et réglementations ont également été adoptées par le Parti de la réforme et du changement (parti du Hamas au sein du CLP).
A la mort de Yasser Arafat en novembre 2004, Mahmoud Abbas a d’abord été élu président de l’OLP par une décision du Comité exécutif. En janvier 2005, il a ensuite été élu président de l’Autorité palestinienne avec 62 % des voix (contre Mustafa Barghouti de la liste Palestine indépendante comme principal opposant). En 2009, le mandat présidentiel de Mahmoud Abbas a été étendu par le Comité exécutif de l’OLP. La Présidence de l’AP est la principale instance exécutive compétente pour le territoire palestinien occupé.
Le Conseil national palestinien (CNP) est l’autorité législative de l’OLP. La dernière réunion du CNP a eu lieu en avril-mai 2018 à Ramallah pour élire un nouveau Conseil central palestinien (CCP) ainsi que le Comité exécutif (CE) de l’OLP. Cette réunion a été boycottée par le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), ainsi que par le Hamas et le Jihad islamique. L’annonce du président Abbas en janvier inclut la formation (et non l’élection) en août 2021 d’un nouveau CNP qui inclurait le Hamas.
Les élections législatives et présidentielles seront régulées par la loi électorale de 2021, proclamée par décret présidentiel. Celle-ci amende la loi électorale de 2007 en ôtant entre autres l’obligation pour les candidats de considérer l’OLP « comme seul représentant légitime du peuple palestinien ». Les candidats sont par contre appelés à reconnaitre la Loi fondamentale de 2003 et doivent toujours reconnaître l’OLP. Les élections municipales restent régulées par la loi de 2007.
Depuis 2005, les élections palestiniennes sont administrées par la Commission électorale centrale (CEC) indépendante, présidée par Hanna Nasir. La CEC comprend neuf commissaires nommés par décret présidentiel.
Le 9 février 2021, les représentants des différents partis palestiniens, dont le Fatah et le Hamas, sont parvenus à un « accord intermédiaire » sur les conditions des prochaines élections lors d’une réunion tenue au Caire, dont le respect des résultats, l’interdiction de la présence des milices dans les bureaux de vote et la mise en place d’un « tribunal électoral indépendant ».
Limites de l’exercice
Si l’annonce des élections palestiniennes rencontre une réaction positive au niveau international, il est nécessaire de souligner les risques qui existent d’y accorder trop d’importance.
Premièrement, il est important de rappeler que les élections palestiniennes se dérouleront dans le contexte de l’occupation israélienne. Les Palestiniens ne bénéficient d’aucune souveraineté sur leur territoire, l’Autorité palestinienne était tout au plus une puissance administrative aux compétences et aux moyens limités. Elle a été créée par les Accords de paix d’Oslo, aujourd’hui considérés comme un processus mort. Pour l’avènement d’une démocratie réelle en Palestine, il est donc avant tout nécessaire de mettre fin à l’occupation israélienne.
Deuxièmement, tel qu’annoncé, le renouvellement du Conseil national palestinien ne sera pas l’objet d’élections. Des élections auraient pourtant répondu aux appels, nombreux, à une redynamisation et une démocratisation de l’OLP. L’OLP est en effet l’organe qui bénéficie de la plus grande légitimité au sein de la population palestinienne, étant donné qu’il inclut les réfugiés palestiniens. Mais depuis les Accords d’Oslo, l’organe a été délaissé au profit de l’AP, notamment du fait de la politique des bailleurs. Aujourd’hui, les voix palestiniennes sont nombreuses à demander des élections du Conseil national palestinien. Or le décret présidentiel du 15 janvier parle de renouvellement et non d’élections pour le CNP.
Opportunités
Les élections palestiniennes annoncées pour 2021 peuvent par ailleurs être considérées comme une opportunité pour plusieurs raisons.
Premièrement, il est nécessaire de souligner que ce sont avant tout leurs difficultés internes et le contexte international (arrivée Joe Biden à la présidence des Etats-Unis, accords de normalisation entre Israël et des Etats arabes, réconciliation entre le Qatar et l’Arabie Saoudite) qui semblent avoir poussé le Fatah et le Hamas à s’entendre sur la tenue d’élections, ce qui ne présageait pas d’une mobilisation des électeurs. Comme le souligne ainsi Hugh Lovatt, expert de la scène politique palestinienne au think tank ECFR[2], « l’enthousiasme des électeurs dépendra en grande partie de la question de savoir si le prochain exercice électoral s’avère être autre chose qu’une tentative de légitimer l’ordre politique existant ». Contre toute attente néanmoins, la CEC a annoncé un taux d’enregistrement de 93% avec 2,6 millions de Palestiniens enregistrés, sur les 2,8 millions habilités à voter, ce qui montre que la société palestinienne voit dans ces élections une certaine opportunité de changement.
Deuxièmement, les élections du CLP relanceront les processus démocratiques dans le système politique palestinien et assureront le renouvellement des institutions palestiniennes légitimes. Elles contribueront en outre à la séparation des pouvoirs, notamment entre les pouvoirs législatif et exécutif, et réduiront l’empiètement de l’autorité exécutive sur les pouvoirs judiciaire et législatif. Des lois et des textes législatifs en suspens depuis plus de 14 ans pourraient ainsi être adoptés par le CLP et les décrets présidentiels qui ont eu force de loi pendant les années de division politique en vertu de l’article (43) de la Loi fondamentale pourraient être examinés et approuvés, ou révoqués par le CLP nouvellement élu lors de ses premières sessions. La réhabilitation du CLP pourrait donc améliorer la redevabilité des dirigeants palestiniens et la transparence des processus décisionnels. Les élections pourraient également renforcer la volonté politique de respecter les conventions et traités internationaux auxquels l’État de Palestine a adhéré, en particulier les conventions relatives aux droits humains et des femmes. Le travail de plaidoyer des organisations de la société civile sur des dossiers concrets comme la santé, les droits des femmes ou encore la protection sociale sera également facilité. De nombreux projets de loi, en attente depuis des années, touchent les groupes vulnérables et les droits des femmes, tels que le projet de loi sur la protection de la famille, le code pénal, les lois sur le statut familial. L’élection d’un nouveau CLP donnera aux organisations féministes et de défense des droits humains l’occasion de faire pression pour leur adoption. Il est néanmoins à noter que les prochaines élections pourraient également mener à une majorité de forces conservatrices au sein du prochain CLP, ce qui pourrait affecter les libertés individuelles, les réformes juridiques et l’égalité des sexes en Palestine occupée. Les élections peuvent enfin donner plus de poids aux Palestiniens pour faire face à l’occupation israélienne et obtenir leurs droits[3].
Troisièmement, ces élections portent en elles un espoir de réconciliation inter-palestinienne. Depuis la victoire du Hamas aux élections de 2006, et l’éviction forcée du Fatah de la bande de Gaza en 2007, les tentatives de réconciliation entre les deux formations ont été nombreuses mais rarement couronnées de succès. Même si les risques existent encore d’assister à une crispation des positions du Fatah et du Hamas, leurs intérêts semblent aujourd’hui les mener vers une réconciliation à plus long terme. Le Fatah veut montrer sa bonne volonté démocratique à la communauté internationale, tandis que le Hamas espère obtenir un allègement du blocus imposé par Israël et, à terme, une reprise du développement de la bande de Gaza.
Enjeux
Afin de prévenir au mieux les risques et de tirer parti des opportunités qui se présentent, plusieurs enjeux se dessinent et doivent retenir l’attention de l’Union européenne et de ses Etats membres.
Reconnaissance du résultat des urnes
Alors que l’UE avait envoyé une mission pour observer les élections de 2006 et déclaré qu’elles s’étaient déroulées en toute régularité, elle n’en a pas reconnu les résultats et cela du fait de la victoire du Hamas. Poussée par les Etats-Unis et sur base des trois principes établis par le Quartet[4] (reconnaissance d’Israël, approbation de tous les précédents accords de paix et renonciation à toute forme de violence), l’UE a alors suspendu son aide à l’Autorité palestinienne et adopté une « politique de non-contact » (no contact policy) vis-à-vis du gouvernement Hamas sorti des urnes.
Afin de contourner cet embargo international, le Premier ministre Ismaël Haniyeh a alors créé un nouveau gouvernement en mars 2007 formé de membres du Hamas et du Fatah ainsi que de membres de plus petites formations politiques et d’indépendants. Le ministre des Affaires étrangères Ziad Abu Amr est un indépendant, afin de permettre des contacts avec l’international. Ces changements ont permis une reprise des contacts internationaux avec les membres du gouvernement non affiliés au Hamas, mais les financements internationaux sont quant à eux restés bloqués.
En 2017, poussés par les modérés au sein du parti, le Hamas a entrepris de revoir ses principes généraux[5] dans le but de renouer des liens avec l’UE. Cet effort a malheureusement été ignoré par l’UE, ce qui a contribué à décrédibiliser les modérés au profit des tenants de la ligne dure du parti[6].
Les règles de non-engagement adoptées par l’UE contredisent les objectifs poursuivis par l’UE dans la région. Elles ont en effet mené à la scission de 2007 entre le Hamas et le Fatah et ont contribué à légitimer le blocus illégal imposé par Israël à la bande de Gaza. Elles ont finalement entraîné un dé-développement catastrophique de ce territoire palestinien, encore aggravé par les offensives militaires israéliennes de 2008-2009, 2012 et 2014. Il est dès lors indispensable que l’UE revoie les conditions de son financement de l’AP et ses règles d’engagement avec tout gouvernement palestinien sorti des urnes, en amont des élections législatives de mai 2021, et cela afin de ne pas reproduire l’erreur commise en 2006. Jusqu’à présent, l’UE s’est limitée à accueillir positivement l’annonce des élections palestiniennes sans s’engager à en respecter les résultats[7]. L’UE n’a pas encore non plus répondu à la demande palestinienne d’envoyer une mission d’observation électorale, même s’il semble qu’elle y répondra positivement.
La campagne électorale et le vote des Palestiniens à Jérusalem-Est
Lors du lancement du processus électoral, Mahmoud Abbas a insisté sur l’importance de mener la campagne dans toutes les régions de Palestine, y compris à Jérusalem-Est. Pour les factions palestiniennes, il n’est pas question de tenir un scrutin sans la participation des Palestiniens de Jérusalem-Est. Jusqu’à présent, le gouvernement israélien ne s’est pas encore exprimé sur le sujet. Si Israël interdit la tenue des élections à Jérusalem-Est, cela pourrait mettre les partis palestiniens en difficulté vu leur insistance pour inclure le territoire et ses résidents palestiniens.
Pour rappel, en 2006, Israël s’était opposé à la tenue du vote à Jérusalem-Est à cause de participation du Hamas au scrutin. Israël avait également interdit aux candidats de faire campagne à Jérusalem-Est et arrêté plusieurs candidats qui avaient bravé cette interdiction. Suite aux pressions internationales, les élections législatives avaient pu se dérouler à Jérusalem-Est, mais Israël n’avait alors autorisé qu’un nombre limité de Palestiniens de Jérusalem-Est à voter dans la ville. Des bureaux de poste avaient été transformés en bureaux de vote pour l’occasion. Peu de Palestiniens avaient finalement voté dans la ville, craignant d’être fichés par la police israélienne présente dans les bureaux de vote, et préférant rejoindre des bureaux de vote en Cisjordanie. Les votes de Jérusalem-Est avaient été transférés par les autorités israéliennes à l’AP.
Le droit des Palestiniens de Jérusalem-Est à participer aux élections de l’Autorité palestinienne est contenu dans l’article 2 de l’Accord intérimaire d’Oslo. Repris dans l’annexe 2 de l’accord, le modus operandi via les bureaux de poste permet aux Israéliens et aux Palestiniens de rester sur leurs positions jusqu’au règlement de la question de Jérusalem dans un accord final[8]. Maintenant que les élections israéliennes du 23 mars sont passées, il est donc nécessaire d’obtenir un engagement du gouvernement israélien sur la tenue des élections, mais aussi sur la possibilité pour les candidats de faire campagne à Jérusalem-Est.
La participation et le vote des prisonniers politiques
Les dirigeants politiques palestiniens sont régulièrement arrêtés et détenus dans le cadre d’un effort continu d’Israël pour empêcher les processus politiques palestiniens, et, par conséquent, la souveraineté politique et l’autodétermination palestinienne[9]. Les membres du Conseil Législatif palestinien sont ainsi régulièrement arrêtés par Israël. En 2002, l’armée israélienne a ainsi arrêté Marwan Barghouti, membre du CLP depuis les élections de 1996. Il a été condamné à cinq peines de prison à perpétuité pour le meurtre de cinq personnes et l’incitation à la violence contre Israël. Sa libération est souvent évoquée car il représente un des seuls remplaçants crédibles à Mahmoud Abbas au sein du Fatah.
A l’approche des élections de 2006, une campagne d’arrestation avait ciblé les membres du CLP et les futurs candidats aux élections. Cette campagne s’est ensuite poursuivie et même intensifiée après les élections, se focalisant sur le bloc « Changement et Réforme », le bloc du Hamas. Pourtant la participation du bloc aux élections législatives n’avait pas été empêchée par Israël, qui n’a déclaré le bloc comme illégal qu’en février 2007.
Depuis 2006, les arrestations de membres du Conseil législatif palestinien se sont poursuivies. Leur jugement se passe devant des tribunaux militaires et sans aucune garantie de procès équitable. Israël empêche aussi certains membres du CLP de sortir du territoire palestinien occupé. Il a en outre révoqué les résidences des députés palestiniens de Jérusalem-Est, et les a déportés de force dans le reste de la Cisjordanie, les privant ainsi d’accès à Jérusalem[10].
A l’annonce des prochaines élections, la CEC a demandé à Israël de pouvoir organiser les élections dans les prisons, avec le concours du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Le vote des prisonniers est en effet important, ainsi que leur capacité à se présenter. Outre les 12 membres du CLP encore emprisonnés (dont 9 en détention administrative)[11], plusieurs Palestiniens emprisonnés dans les prisons israéliennes se sont en effet portés candidats pour les prochaines élections législatives[12].
Le respect des principes démocratiques
La démocratie ne se résume pas à la tenue d’élections. Le respect des droits humains et des libertés fondamentales est également une condition nécessaire d’une société démocratique. Comme rappelé dans le rapport « Occupation and shrinking space[13] » publié par le CNCD-11.11.11 et son homologue flamand en janvier 2020, l’occupation et la colonisation israéliennes entraînent des violations massives des droits humains des Palestiniens. Malheureusement, les dérives autoritaires des autorités palestiniennes, que ce soit l’AP en Cisjordanie ou l’autorité de facto du Hamas à Gaza, mettent également en danger les droits et libertés des Palestiniens vivant dans le territoire occupé. Comme le souligne Yara Hawari, senior policy analyst pour le think tank palestinien Al Shabaka, « si vous avez une société qui est complètement étouffée politiquement, et où l’opposition politique est régulièrement punie, c’est déjà truqué[14] ».
Bien qu’elle ait été amendée en mai 2018, la loi sur la cybercriminalité de 2017 est un exemple de cette dérive autoritaire, son caractère vague permettant à l’Autorité palestinienne d’en abuser pour faire taire les voix palestiniennes dissidentes[15]. La poursuite du militant des droits humains Issa Amro pour des propos tenus contre l’AP sur les réseaux sociaux en atteste[16].
La question de la séparation des pouvoirs est également critique au sein de l’Autorité palestinienne. Les décrets présidentiels émis le 11 janvier 2021 par le président Abbas pour réformer le secteur judiciaire étendent l’emprise du pouvoir exécutif sur le pouvoir judicaire (voir détail dans l’article écrit sur le sujet par Amira Hass dans Haaretz[17]). L’arrangement trouvé au Caire entre Hamas et Fatah d’un « tribunal électoral indépendant » est une réponse à la crainte du Hamas de voir le président Abbas utiliser son emprise sur les tribunaux pour invalider le résultat des urnes.
La réforme de la loi électorale introduite par Abbas impose par ailleurs aux candidats de renoncer à tout poste professionnel, même sans conflit d’intérêt, ce qui entraîne de facto une restriction aux seuls riches, rentiers ou politiciens professionnels. Par ailleurs, chaque liste doit récolter 10 000 dollars pour être déposée, ce qui dans le contexte économique actuel, rend l’exercice possible qu’aux seules factions bénéficiant de riches donateurs. La société civile palestinienne demande que ce montant soit réduit à 100 dollars.
Enfin, la loi par décret n°7 publiée le 2 mars 2021 amende la précédente loi n°1 de 2000 sur les associations caritatives et les organisations de la société civile (OSC) dans le sens d’une interférence beaucoup plus grande de l’exécutif dans la gestion des OSC. Selon l’organisation de droits humains palestinienne Al Haq, « la loi par décret modifiant la loi sur les OSC est en contradiction avec l’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui soulignent le droit fondamental à la liberté d’association et protègent l’indépendance, les activités et les ressources financières des OSC[18] ». Une pétition signée par 120 organisations de la société civile palestinienne demande que cette loi par décret soit immédiatement annulée[19].
La représentation des jeunes et des femmes
Alors que la jeunesse représente une majorité de la société palestinienne, elle est marginalisée. 63 % de l’électorat palestinien ont ainsi moins de 40 ans. Les organisations de la société civile palestinienne demandent donc une meilleure représentation pour les jeunes. L’âge d’éligibilité a été fixé à 28 ans pour le CLP et à 40 ans pour la présidence. Mais la société civile réclame une baisse de l’éligibilité à 23 ans pour le CLP, s’alignant ainsi sur l’âge d’éligibilité pour le Conseil national palestinien.
La nouvelle loi électorale a porté la représentation des femmes à 26 %, ce qui est inférieur à la décision prise par le conseil central de l’OLP d’augmenter le quota à 30 %. En fait, la nouvelle loi n’a pas stipulé de pourcentage, mais a plutôt modifié la place des femmes sur les listes électorales des partis. Ces derniers doivent donc présenter une femme parmi les trois premiers candidats, et une femme tous les quatre candidats pour le reste de la liste.
Les organisations palestiniennes de défense des droits des femmes demandent aux partis politiques d’augmenter le nombre de femmes inscrites dans les premiers noms des listes afin de parvenir à un plus grand nombre de femmes élues. Par ailleurs, elles mènent également des campagnes pour encourager les femmes à plutôt voter pour d’autres femmes et à soutenir celles qui obtiennent des positions de leadership. Enfin, elles défendent une représentation égale, plutôt qu’un quota spécifique.
La pandémie de Covid-19
La possibilité de tenir des élections en mai 2021 dépendra de la prévalence de la pandémie de Covid-19 dans le territoire palestinien occupé.
Alors qu’Israël se profile comme le champion mondial en termes de vaccination contre le Covid-19, il n’a pas inclus les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza dans sa stratégie de vaccination, alors qu’il en a l’obligation en tant que puissance occupante. L’initiative Covax mise en place par les l’OMS et GAVI pour la distribution du vaccin dans les pays en développement ne permettra au mieux de vacciner que 20% de la population palestinienne en 2021. Mais l’initiative, insuffisamment financée, est encore loin de l’objectif poursuivi[20]. Vu la résurgence de cas positifs de Covid-19 dans le territoire palestinien occupé, même le meilleur des scénarios de vaccination rend donc hypothétique la tenue des élections.
Une large coalition de la société civile palestinienne[21] appelle donc les Etats tiers « à respecter et à faire respecter les conventions de Genève, notamment en veillant à ce qu’Israël, puissance occupante, fournisse à l’Autorité palestinienne des vaccins COVID-19 permettant de sauver des vies, qui seront distribués à la population palestinienne occupée protégée ».
[1] Pour plus d’informations, voir Mapping Palestinian politics du European Council for Foreign Relations : https://ecfr.eu/special/mapping_palestinian_politics/
[2] Hugh Lovatt, “The Palestinian elections: A second chance for the EU”, ECFR, 19 January 2021 https://ecfr.eu/article/the-palestinian-elections-a-second-chance-for-the-eu/
[3] “Elections Are an Essential Point for Restoring Democracy and Unifying the Political System », PNGO Press Release, 12 January 2021 https://en.pngoportal.org/post/3272/PNGO-Press-Release-Elections-Are-an-Essential-Point-for-Restoring-Democracy-and-Unifying-the-Political-System
[4] Le Quartet pour le Moyen-Orient, créé en 2002 avec l’objectif de relancer le processus de paix, est composé des États-Unis, de la Russie, de l’Union européenne et des Nations Unies.
[5] Voir : https://hamas.ps/en/post/678/A-Document-of-General-Principles-and-Policies
[6] Voir : Mohammad Shehada, « Hamas (Palestine) » in Guns and Governance. How Europe should talk with non-State armed groups in the Middle East, ECFR: https://ecfr.eu/special/mena-armed-groups/hamas-palestine/
[7] Palestine: Statement by the Spokesperson on launching the preparations for elections, EEAS, 16 January 2021.
[8] Terrestrial Jerusalem, “Palestinian Elections in East Jerusalem: Lessons learned, Anticipated challenges”, briefing paper, 1st March 2021. https://drive.google.com/file/d/1Zzn7D1fBg23VaMd2voWLm7J4f4J7lodx/view
[9] “Detained Palestinian Legislative Council Members”, Addameer, 25 July 2017. http://www.addameer.org/publications/detained-palestinian-legislative-council-members-0
[10] « Arrest of legislative council members », Addameer (last update : November 2018). https://www.addameer.org/the_prisoners/plc_member
[11] Voir liste : http://www.addameer.org/publications/detained-palestinian-legislative-council-members-0
[12] « Participation of political prisoners in the legislative elections”, Central Elections Commission, Palestine. https://www.elections.ps/tabid/326/language/en-US/Default.aspx
[13] Israel/Palestine. « Occupation and shrinking space » The attack on civil society in the occupied Palestinian Territory and in Israël, Report 11.11.11 & CNCD-11.11.11, January 2020, https://www.cncd.be/Israel-Palestine-Occupation-shrinking-space-report-2020
[14] Joseph Krauss, « Palestinian leader’s path to elections is fraught with peril », AP , 7 February, 2021, https://apnews.com/article/israel-elections-mahmoud-abbas-west-bank-coronavirus-pandemic-15617805eb9e3b219e44c231728dc13f
[15] Israel/Palestine. « Occupation and shrinking space », op cit.
[16] Amira Hass, “Convicted in an Israeli Military Court, This Palestinian Activist Is Also Being Persecuted by the PA”, Haaretz, 28 January 2021 https://www.haaretz.com/middle-east-news/palestinians/.premium-convicted-by-israel-this-palestinian-activist-is-also-being-persecuted-by-the-pa-1.9488264
[17] Amira Hass, “Abbas Tightens His Control Over the Palestinian Court System”, Haaretz, 28 January 2021 https://www.haaretz.com/middle-east-news/palestinians/.premium-sparking-election-fears-abbas-tightens-grip-on-palestinian-court-system-1.9492477
[18] “Al-Haq Position Paper on the Law by Decree Concerning the Amendment of the Law on Charitable Associations and Civil Society Organisations”, 10 March 2021 https://www.alhaq.org/advocacy/17959.html
[19] « More Than 120 NGOs demand the cancellation of restrictions imposed on candidacy in the legislative elections », PNGO, 11 March 2021. https://en.pngoportal.org/post/3308/More-Than-120-NGOs-demand-the-cancellation-of-restrictions-imposed-on-candidacy-in-the-legislative-elections
[20] N. Janne d’Othée, « L’ombre de l’apartheid sur la stratégie de vaccination d’Israël », CNCD-11.11.11, 22 janvier 2021. https://www.cncd.be/apartheid-strategie-vaccination-israel-palestine-covid
[21] Racism and Institutionalised Discrimination in the Roll-Out of the COVID-19 Vaccine », PHROC, PNGO and PNIN, 14 January 2021 https://www.alhaq.org/advocacy/17767.html