- Ils demandent à rencontrer le président Duque mais celui-ci leur répond que s’ils ne dispersent pas la manifestation, il la dispersera. En Colombie, cela ne peut être interprété que comme une riposte à feu et à sang.
- Ils parcourent un trajet de 600 kilomètres pour dire au duquisme, uribisme et autres ismes de l’extrême droite colombienne que la violence contre leur peuple n’est autre chose que de la faiblesse et une preuve irréfutable de l’absence totale de gouvernement que subit la Colombie. Et que dès lors, les crimes perpétrés contre leurs frères, au lieu de leur produire de la peur, les revitalisent.
Auteur : Olga Gayón, Bruxelles
Il s’agit d’une mobilisation haute en couleurs, musique, joie, danses, nourriture et beaucoup, mais alors là beaucoup de dignité. Elle se déplace du sud-est vers le centre de la Colombie. Femmes, hommes et enfants font le chemin à pied ou en voiture, accompagnés de drapeaux bien hissés, de pancartes et de consignes pour dénoncer la cruauté avec laquelle le gouvernement d’Ivan Duque les traite ainsi que le regard dédaigneux qu’il leur lance quand ils réclament sa présence.
Ils se déplacent depuis les départements du sud-ouest, Nariño, Putumayo, Valle del Cauca et Cauca. Au fur et à mesure qu’ils avancent ils sont rejoints par des communautés noires, des paysans et des indigènes d’autres provinces. Le département du Cauca est sans doute la région où les indigènes sont le mieux organisés et unis dans la protection de leurs communautés et dans la réclamation de respect envers leurs ethnies, leurs territoires, leurs cultures et leurs vies. Mais c’est aussi le territoire le plus militarisé de Colombie, là où on assassine le plus d’indigènes, de leaders sociaux et de jeunes.
Les indigènes et autres victimes de la guerre en Colombie ont perçu la lumière au bout du tunnel lors de la signature des accords de paix entre l’État colombien et les guérillas des FARC en novembre 2016. Le Cauca, une des régions les plus frappées par la guerre, à vécu deux années d’espoir, presque sans violence, suite à l’entrée en vigueur de cet accord. Cependant, suite à l’entrée en fonction du président Duque en 2018, le département a été envahi par les escadrons de la mort de l’extrême droite, par les narcotrafiquants et par quelques groupes de la guérilla ELN et des dissidents des FARC. L’État a en plus militarisé la région mais plutôt que de mettre un frein à la violence, celle-ci n’a fait que s’accentuer.
La Colombie compte 102 peuples indigènes où on parle au moins 64 langues différentes. Elle compte une population indigène de 1.905.617 d’individus, ce qui représente presque 5% de la population totale qui avoisine les 48,2 millions. Certains peuples originaires sont sur le point de disparaître et d’autres, souffrent de la faim, de la malnutrition et de l’extrême pauvreté. Dans bon nombre de leurs territoires, l’exploitation minière a détruit leur style de vie en harmonie avec la nature et a presque mené à la disparition de leurs cultures millénaires. L’État n’a jamais protégé les peuples indigènes de ce pays sud-américain, il s’est plutôt employé, depuis 200 ans, soit à les combattre, soit à protéger ceux qui exercent la violence contre ces ethnies ancestrales. Pendant les deux premières années du mandat de Duque ont été assassinés 209 indigènes et au moins 500 leaders sociaux à travers le pays. Depuis le début de l’année 2020, 67 massacres ont déjà eu lieu et pour l’instant aucun responsable n’a encore été arrêté ni même poursuivi par la justice.
En apparence, la Colombie n’est pas une dictature. Néanmoins, depuis les années 70’ à nos jours ont été commis plus de crimes, de disparitions forcées et de tortures que dans l’ensemble des dictatures des pays du Cône sud. Cela, sans compter les méthodes d’une extrême cruauté qui ont été employées pour spolier huit millions d’hectares aux paysans, populations noires et indigènes.
Le narcotrafic constitue l’un des plus graves problèmes de notre pays. Il s’est infiltré dans tous les recoins et dans tous les secteurs de l’État et du pouvoir, au point que les narcos et les escadrons de la mort, de la main des politiciens et militaires corrompu, sont ceux qui ont entre leurs mains le pouvoir en Colombie.
Les forces armées de l’État colombien se voient constamment mêlées à des crimes de guerre, à des crimes contre l’humanité, à des violations répétées des droits humains, à la protection de grands délinquants et narcotrafiquants, à des problèmes de corruption d’un degré inimaginable, à des violations de femmes et d’enfants et à la maltraitance des communautés paysannes, noires et indigènes.
A l’invitation au dialogue des indigènes du Cauca et à la grande mobilisation de l’année passée, le président Duque a répondu par une chaise désespérément vide à Caldono, il s’est refusé à les rencontrer. C’est avec le même dédain qu’il a répondu à l’appel au dialogue lancé à Cali ce 12 octobre par les indigènes qui s’étaient mobilisés et il est probable quece soit la même réponse qui leur sera donnée à partir du 19 octobre, lorsque la grande marche, connue sous le nom de Minga indigène, arrivera à Bogota pour dialoguer.
Les revendications de la Minga sont, entre autres : la critique de l’impunité de la part de l’administration Duque en ce qui concerne les assassinats de leaders sociaux, la véritable application de l’accord de paix, un frein immédiat à la violence générale qui secoue le pays, que les terres des indigènes ne leurs soient pas arrachées, et que plutôt que d’envoyer l’armée, l’État effectue un réel investissement social dans cette région complétement abandonnée. « Nous voulons que le Gouvernement écoute nos revendications, que nos leaders sociaux, nos représentants, nos membres, nos coordinateurs de garde et nos autorités ne soient plus assassinés, c’est cela ce que cette Mingasignifie » a déclaré au quotidien El Tiempo, le dirigeant indigène et sénateur Feliciano Valencia.
C’est dans la paix, le territoire et la démocratie que sont concentrées les revendications que les peuples indigènes font au gouvernement de Duque. Il est de notoriété publique que le président préside peu et qu’au lieu de cela il s’emploie à conduire son programme télévisé journalier, à l’image d’autres dictatures actuelles dans le monde.
Toutefois, cette grande mobilisation pour la dignité, ces 10 000 personnes qui ont parcouru 600 kilomètres à pied ou en voiture, gardent encore l’espoir d’être reçues par le gouvernement et de signer un accord qui soit respecté. Elles désirent que le Palais de Nariño, siège du gouvernement, soit à la hauteur des citoyens des grandes villes que la Minga a rencontré sur leur parcours vers Bogota : Cali, Armenia, Ibagué, Fusagasugá, villes qui ont accueilli les peuples indigènes les bras ouverts et dans une ambiance festive et solidaire.
Il est d’espérer que le président Duque change le cap et que pour la première fois en deux longues années de gouvernement il commence réellement à assumer son rôle et qu’il rencontre avec les honneurs qu’ils méritent, ceux qui depuis des millénaires accueillent leurs visiteurs et protègent leur propre peuple. Quoi qu’il en soit, la Minga se joindra à la grève générale de ce 21 octobre et sortira dans les rues de Bogota pour exiger le respect non plus uniquement pour leurs ethnies mais aussi pour tout le peuple colombien pour lequel depuis son entrée en fonction, le président Duque n’a montré autre chose que du dédain. Et qui à plusieurs reprises, quand le peuple s’est manifesté, le gouvernement n’a eu d’autre réponse que la violence. Violence d’ailleurs qu’ils ne manifestent pas contre les escadrons de la mort d’extrême droite qui assassinent jour après jour, à travers les massacres d’indigènes, noirs, paysans, leaders sociaux, défenseurs des droits humains, défenseurs de l’environnement et d’étudiants.
L’ensemble de la Colombie espère que la police de Bogota n’accueillera pas les 10 000 indigènes avec férocité. Toutefois, entre l’espérance et la réalité colombienne il existe un grand fossé. Il y a à peine deux mois à l’occasion d’une manifestation sociale, en une seule nuit, la police a assassiné 14 jeunes de Bogota. Il existe dès lors une crainte légitime que Duque ait recours à la violence pour freiner la contestation : il les a d’ailleurs déjà mis en garde : « où vous dispersez la marche, ou je la disperse » En Colombie, ce ne sont pas des paroles en l’air ; cela laisse présager une réponse à feu, à sang et sans pitié.
Traduit par: Camilo Pérez Niño