Ahed Tamimi est l’une de nos invitées centrales à ManiFiesta cette année. Heide Vercruysse l’a interviewé pour l’hebdomadaire Solidair. 👉👉 Venez au meet & greet avec Ahed dans la tente intal le samedi 17 septembre à 13h. Pas encore de billet ? Achetez-le ici.
En 2017, une vidéo de la Palestinienne Ahed Tamimi, alors âgée de 16 ans, fait le tour du monde. Elle y gifle un soldat israélien qui venait de tirer une balle en caoutchouc dans le visage de son cousin. Ahed a été condamnée par un tribunal militaire israélien à huit mois de prison. Elle est devenue le symbole d’une jeune génération de Palestiniens en résistance. Interview exclusive.
Aujourd’hui, Ahed est étudiante en droit. Déjà toute petite, c’était son projet. Puis son père a été arrêté et elle n’a pas été autorisée à lui rendre visite, ce qui n’a fait que renforcer sa détermination. Son seul objectif : défendre les droits des prisonniers.
Lorsque nous retrouvons Ahed par vidéo, des tirs ont à nouveau eu lieu dans son village de Nabi Saleh. Les confrontations et les provocations sont quotidiennes, avec souvent de nouvelles victimes. Il y a quelques mois, un jeune de 16 ans a été abattu lors de manifestations. Au moment d’écrire ces lignes, de violents affrontements ont lieu sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem, à l’intérieur et autour de la mosquée al-Aqsa.
Pouvez-vous nous expliquer ce qui se passe à la mosquée al-Aqsa à Jérusalem ?
Ahed Tamimi. Ce qui se passe à al-Aqsa représente parfaitement la réalité de l’occupation que le peuple palestinien subit au quotidien. Ils ont arrêté 400 jeunes dans la mosquée, des jeunes qui exerçaient leur droit de prier, comme tout un chacun, partout dans le monde. Ils ont arrêté et brutalisé des femmes, des personnes âgées et des enfants. Tant que les territoires seront occupés, les droits du peuple palestinien seront bafoués. Nous devons résister pour mettre fin à l’occupation et reprendre nos droits en main. Nous refusons que l’on nous fasse l’aumône de la liberté.
Vous nous dites que 400 jeunes ont été arrêtés. Comment vit-on sous le régime de la justice militaire israélienne ?
Ahed Tamimi. Ils arrêtent le premier qui leur tombe sous la main et le placent en détention administrative, pour enquêter. Cela peut prendre des mois. Des mois sans que leur famille ou même leur avocat ne sache où la personne arrêtée se trouve. Bien souvent, les décisions de justice ne sont pas rendues publiques.
Or, les peines prononcées à l’abri des regards sont disproportionnées par rapport aux faits incriminés. Ils accusent quelqu’un d’avoir jeté des pierres et lui infligent une peine de prison de 4 ou 5 ans. Beaucoup de mineurs sont aussi retenus en détention.
Vous avez vous-même été arrêtée en 2017 et emprisonnée pendant 8 mois. Comment vous avez vécu cela ?
Ahed Tamimi. C’était difficile. Vous êtes coupé du monde. J’ai entendu à la radio qu’un habitant de mon village avait été tué. Vous entendez que l’un de vos proches a été capturé ou est mort, mais vous n’avez accès à aucune information. Vous commencez à imaginer tous les scénarios : et si c’était mon père, mon frère, mon oncle ?
Les interrogatoires étaient terrifiants. Ils ont duré seize jours. Ils m’ont menacée de tuer toute ma famille si je n’avouais pas. « On va tous les attraper. Tu veux qu’ils soient menottés et humiliés comme toi ? »
En prison, il pouvait souvent se passer des heures, voire des journées entières sans qu’on ne me laisse aller aux toilettes. Il n’y avait ni eau ni nourriture. Et quand ils amenaient enfin à manger, c’était dégoûtant. De nombreux prisonniers ont subi des tortures mentales et physiques. On nous suspendait par les poignets à une corde pendant des jours, des semaines, et on nous battait.
Pendant mes huit mois de détention, ma famille n’a été autorisée à me rendre visite que trois fois. Chaque visite dure 40 minutes, sous surveillance. Il est interdit de se toucher. On est séparés par du vitrage insonorisé, on doit se parler au téléphone.
En tant que jeune femme, comment se passe la vie en prison ?
Ahed Tamimi. La prison est un milieu très misogyne. Les femmes et les filles sont souvent punies. Par exemple, on peut acheter des serviettes hygiéniques en prison. Mais tout à coup, il n’y en a plus pendant un ou deux mois. Donc, dès qu’on en avait l’occasion, on en achetait plein, que l’on cachait dans notre cellule.
D’anciens prisonniers palestiniens disent que la solidarité est très forte et très importante dans une prison militaire. L’avez-vous constaté aussi ?
Ahed Tamimi. Nous tenions à montrer à l’occupant qu’il ne parviendrait pas à nous démolir. Nous nous soutenions énormément mutuellement. Nous partagions tout. Lorsque l’une de nous était triste, nous étions toutes tristes. Et on essayait de lui remonter le moral. Si quelqu’un voyait ou ressentait quelque chose de drôle, il le disait à tout le monde et tout le monde rigolait. Ce sont les petites choses que nous avons vécues ensemble qui ont fait que nous étions heureuses malgré tout.
On ne peut pas apporter grand-chose en prison. Par exemple, nous avions une seule aiguille, pour coudre. Il nous arrivait de la perdre, mais quand on la retrouvait, on était toutes folles de joie. Ce sont de petites choses auxquelles les gens qui vivent à l’extérieur ne pensent pas. Ces petits moments de bonheur prenaient énormément de valeur en prison. Nous étions certes en prison mais nous ne voulions pas que la prison prenne possession de nous. C’était très difficile. Nous avons toujours tenté de trouver de l’espoir dans ce que nous faisions et de nous sentir heureuses.
Les prisonniers politiques n’abandonnent pas la lutte en prison. Comment font-ils ?
Ahed Tamimi. L’enseignement nous était interdit. Une fois, ils ont vu que nous étions en train d’étudier et ils ont verrouillé la salle dans laquelle nous étudiions en cachette. Alors, nous nous sommes mises en grève. Nous avons renvoyé nos repas, refusé de sortir de nos cellules et d’aller dans la cour. Cela a duré trois jours. Ensuite, cette salle a été rouverte et nous avons pu nous remettre à étudier. La grève de la faim est le moyen le plus fort, mais aussi le plus difficile, de résister. Quand on en arrive là, cela signifie que l’on a plus d’autre solution. C’est une décision qui est une question de vie ou de mort. Tous les prisonniers soutiennent celui ou celle qui prend cette décision. Certains prisonniers ne mangent pas pendant des mois. Bien souvent, on les met à l’isolement en guise de sanction.
La prison vous a-t-elle beaucoup changée ?
Ahed Tamimi. Pour un Palestinien, parler de la prison est habituel. Nous y sommes tous confrontés. Dans toutes les familles, quelqu’un a été ou est emprisonné. Dans toutes les familles, quelqu’un a été tué. Aujourd’hui, en une journée, en deux ou trois heures, 400 personnes ont été arrêtées à un seul endroit.
La prison est le reflet de la société, donc les rapports entre détenus sont parfois difficiles. J’avais 16 ans quand je me suis retrouvée en prison. Je vivais avec des adultes, je réglais divers problèmes avec eux, il fallait toujours avoir un plan. Parfois, ils amenaient une nouvelle fille et il n’y avait pas assez de place pour elle. Nous étions 11 filles dans une chambre de 6. Il fallait donc trouver des solutions. J’ai été confrontée à des problèmes que l’on ne peut même pas imaginer lorsqu’on n’est pas en prison. On apprend à être très patient. La prison m’a rendue très froide et m’a fait grandir.
Vous dites que vous serez toujours en résistance. Comment parvenez-vous à garder espoir ?
Ahed Tamimi. Tant que l’occupation se poursuivra, nous continuerons de résister. Nous résisterons jusqu’à ce que nous ayons chassé l’occupant de notre pays. Notre espoir, nous le puisons dans notre lien avec cette terre, dans notre amour pour notre pays. C’est ainsi que nous tenons le coup.
Cela rappelle le mot arabe sumud, qui signifie « persévérance inébranlable ».
Ahed Tamimi. En effet, le peuple palestinien est l’incarnation de ce terme. Sa persévérance reste inébranlable. Nous, Palestiniens, sommes enracinés dans notre terre, ils ne peuvent pas nous en arracher, nos racines sont indestructibles.
Vous être considérée comme un symbole de la jeune génération palestinienne en résistance. Qu’est-ce que ça fait ?
Ahed Tamimi. J’en suis très fière. Aujourd’hui, je suis en mesure de porter la voix de la Palestine, la voix des jeunes de Palestine, dans le monde entier. Je peux expliquer dans les médias de ce que l’on nous fait, à moi et aux autres Palestiniens. Parler d’un pays et d’un peuple occupés est une lourde responsabilité. Mais j’espère pouvoir transmettre le message de mon pays et de mon peuple de manière à faire changer les choses.
L’attention internationale dont vous bénéficiez vous a-t-elle également posé problème ?
Ahed Tamimi. Lorsque la situation s’est détériorée en Ukraine, ma vidéo a commencé à circuler sur les médias sociaux, mais en me présentant comme une Ukrainienne giflant un soldat russe. J’ai été vraiment choquée.
Sur les médias sociaux, on me dépeignait comme une héroïne, alors qu’en réalité, j’ai passé huit mois en prison pour cette vidéo qui est aujourd’hui applaudie et glorifiée. J’ai eu le sentiment qu’en tant que Palestinienne, j’avais moins de valeur. Lorsque ma vidéo a fait le tour du monde en 2017, j’ai été stigmatisée, considérée comme une terroriste. Mais lorsque l’on poste cette même vidéo en me prenant pour une Ukrainienne, me voilà élevée au rang d’héroïne.
Que pouvons-nous faire pour vous aider dans votre lutte ?
Ahed Tamimi. Les pays occidentaux ont le devoir de nous aider. Ils jouent un rôle dans l’occupation de mon pays. Tous les traités signés, tous les plans élaborés ont permis cette occupation. Il est de leur devoir de réparer le mal qu’ils ont fait au peuple palestinien.
Je ne permettrai à personne de me regarder avec pitié comme si j’étais une victime vivant sous l’occupation, de me regarder avec mépris comme s’il n’y avait pas contribué. Si on me considère comme une victime, et rien d’autre, je ne veux pas de cette pitié.
Ce que je veux, c’est que l’on nous considère comme des résistants, des défenseurs de la liberté, et que les gens soient nos alliés. Il est de votre devoir, en tant qu’alliés, de vous tenir à nos côtés et de vous battre avec nous.
Nous nous réjouissons de vous accueillir à ManiFiesta.
Ahed Tamimi. Je vous remercie. Grâce à vous, je peux raconter mon histoire et toucher encore plus de monde.
Interview extraite de l’hebdomadaire Solidair.